Entretien avec Odon Vallet
Le Forum universitaire propose six conférences sur les grands textes sacrés de l’humanité, du 22 septembre au 15 décembre 2004. Les auditeurs du soir peuvent se réjouir : elles sont programmées en soirée afin d’être accessibles au plus grand nombre.
Qu’est-ce qu’un texte sacré ?
Qu’en est-il de sa traduction et de son interprétation ?
Deux ans après avoir animé un cycle sur l’histoire des religions, Odon Vallet revient pour répondre à ces questions.
Pourquoi ce besoin de codifier le rapport entre l’homme et le divin par l’intermédiaire de textes ?
Les textes sacrés sont liés à l’invention de l’écriture qui a eu lieu au Proche-Orient voici 5 000 ans. Il n’est donc pas étonnant que les plus vieilles religions des livres soient issues de cette zone qui a vu naître le judaïsme, le christianisme et l’islam.
D’autres religions ont également leur livres sacrés, comme le zoroastrisme iranien, ou des religions de l’Inde comme le bouddhisme, l’hindouisme, le jaïnisme et le sikhs, dont je parlerai au cours des conférences.
Aujourd’hui, presque toutes les religions ont des livres sacrés, alors qu’à l’origine elles étaient des religions de l’oral.
Ni Jésus, ni Bouddha, ni Mahomet n’ont écrit le moindre livre. Ils ont été des orateurs et leurs paroles ont été mises par écrit par des disciples.
Par la suite, les Églises ont éprouvé le besoin de codifier ces textes et de les canoniser, c’est à dire de séparer les textes officiels des autres. Il y a tout un travail d’interprétation qui s’impose : en quoi un texte est-il sacré ou ne l’est-il pas ?
Existe-t-il plusieurs degrés de sacralisation ? La notion de texte sacré est-elle la même dans les diverses religions ? Se pose aussi la question des traductions. : sont-elles légitimes ? Altèrent-elles ou non le texte ?
Quelle authenticité peut-on alors reconnaître aux textes sacrés ?
La plupart des grands textes religieux, à l’exception du Coran, ont été rédigés sur une longue période qui, pour la Bible, atteint près de 1 000 ans.
Il n’est donc pas possible de dire si tel texte est authentique ou non. Il y a eu des remaniements constants en fonction de nouvelles préoccupations théologiques. La manière dont on reçoit les textes évolue aussi selon les époques.
Il suffit de relire les sermons catholiques d’il y a cinquante ans pour voir qu’ils ne sont plus les mêmes qu’aujourd’hui, alors qu’ils commentent un même passage d’Évangile.
Non seulement notre connaissance des textes sacrés s’enrichit, mais nos préoccupations par rapport à ces textes changent.
Ces textes intéressent à présent un grand nombre de personnes au-delà du cercle de pratiquants. Ils appartiennent au patrimoine culturel de l’humanité et pas uniquement au domaine culturel.
Retrouve-t-on des points communs entre ces grands textes ? Certains en ont-ils influencé d’autres ou existe-t-il au contraire de grandes divergences ?
Il faut être prudent sur les influences réciproques.
Il est très probable, par exemple, que les textes zoroastriens aient influencé la Bible sur certains points fondamentaux comme le jugement dernier ou la résurrection. Ils n’ont pourtant été mis par écrit que très tardivement, après la Bible et même, semble-t-il, après le Nouveau Testament.
Par ailleurs, certains textes présentent des points communs alors qu’ils relèvent de traditions indépendantes. Presque tous les textes religieux, par exemple, ont comme principe moral premier, « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse ». On trouve cela aussi bien dans les textes bouddhiques, confucéens ou chrétiens.
Or, à l’évidence, Jésus-Christ n’a jamais connu Confucius.
La redécouverte de ces textes permet d’éviter une certaine confusion, en montrant qu’il a entre eux des ressemblances ou des différences.
Il n’y a pas de religion universelle, il n’y a pas pour autant de textes opposés. Quand on approfondit leurs études, on s’aperçoit qu’ils correspondent à des traditions différentes, mais non à des courants adverses. Ceci est important dans notre période de tensions religieuses.
Faut-il enseigner les religions à l’école au titre de la culture générale, ou cela doit-il rester dans la sphère privée ?
La question de l’enseignement des religions est très difficile compte tenu de la laïcité de l’État, mais aussi du manque de connaissances des enseignants et des enseignés. Les programmes scolaires, par exemple, parlent assez peu des civilisations asiatiques et africaines.
L’étude des débuts du judaïsme, du christianisme et de l’islam se fait en classes de 6ème et de 5ème, arrivés à l’âge du lycée, les élèves ont presque tout oublié.
Je constate un vif intérêt de ces derniers lors des conférences, à condition que les propos soient tenus dans un climat de parfaite tolérance et sans le moindre prosélytisme. Il faut bien distinguer l’enseignement d’une foi qui relève de la catéchèse, et celui de la culture religieuse qui relève de la connaissance.
De nouvelles découvertes peuvent-elles bouleverser notre connaissance des textes sacrés ?
On peut imaginer d’autres découvertes, comme celles de la mer Morte en 1947 ou de Nag Habbadir en Haute Égypte.
On s’aperçoit cependant, que les plus importantes découvertes en matière de textes sacrés ont eu lieu au cours des siècles précédents et qu’il n’y a pas eu dans ce dernier demi-siècle de découvertes fondamentales.
Cela n’exclut pas quelques trouvailles exceptionnelles dans les années à venir, mais il faut se méfier des enthousiasmes prématurés.
Encore une fois, tout doit être restitué dans son contexte et faire l’objet d’une étude minutieuse en n’oubliant pas le fossé culturel qui existe entre notre civilisation et celle d’il y a deux ou trois mille ans, où les paroles n’étaient pas entendues de la même façon.
Propos recueillis par Domitille de Veyrac pour le BBI.
Septembre 2004