Le Nouveau Testament
Conférence donnée le mercredi 20 Octobre 2004
par Odon Vallet
Professeur d’Histoire des Religions à la Sorbonne
Qu’est-ce que le Nouveau Testament ?
Au 2ème siècle après Jésus-Christ, l’hérésiarque gnostique, Marcion, estimait que la Bible hébraïque n’avait rien à voir avec le " Nouveau Testament ", et que donc le Christianisme n’avait pas à se référer à cet " Ancien Testament ".
Il allait même plus loin. Il disait : " Il faut expurger le " Nouveau Testament " de tout ce qui pourrait rappeler l’Ancien ".
Donc, il ne conservait que les textes les plus grecs du " Nouveau Testament ", et il privilégiait beaucoup l’Évangile de Luc.
Mais c’est vraiment un point de vue très minoritaire.
Pour les Chrétiens, en général, le " Nouveau Testament " et l’"Ancien Testament " font partie des textes sacrés, même si pendant très longtemps, surtout en milieu catholique, on connaissait très mal l’"Ancien Testament ". C’est seulement depuis le concile Vatican II qu’il y a, à chaque messe, une lecture de l’"Ancien Testament ".
Cela étant, y’a-t-il seulement deux testaments ? On peut se poser la question puisque l’Ancien Testament apparaît à peu près au 3ème siècle, début 2ème siècle avant Jésus-Christ, et que, par rapport au Nouveau Testament, il y a un vide de deux siècles.
Ce vide a été rempli notamment par les manuscrits de la Mer Morte, les manuscrits de Qumrân, en 1947.
On a retrouvé un certain nombre d’écrits qui se référaient parfois à l’"Ancien Testament ", notamment une version du prophète Isaïe, mais surtout des textes des 2èmes et 1ers siècles avant Jésus-Christ.
Il s’agit de textes très divers comme " Les psaumes de Salomon ", " Le testament de Moïse ", " Le livre d’Hénoch " par exemple.
Ces textes, qui comblent le vide chronologique entre l’Ancien Testament et le Nouveau Testament, ont été nommés " L’Intertestament ".
Il existe dans la Pléiade un très beau volume qui s’appelle " Intertestament " et qui regroupe ces textes très instructifs pour notre connaissance du milieu juif de l’époque. Mais ces textes ne sont considérés comme sacrés ni par les Chrétiens, ni par les Juifs.
Intéressons-nous maintenant au mot "Testament ", " testamentum " en latin. Certains ont estimé que c’était un mot malheureux, car on fait un testament avant de mourir à destination de ses héritiers.
Le mot grec correspondant est " diathèkè " qui a un sens très légèrement différent.
" Dia " veut dire " dans " ou " à travers ", et " thèkè ", c’est " le coffre ", donc " ce qu’on met dans le coffre ". Qu’est-ce qu’on met dans un coffre ? Des documents juridiques, des contrats, des conventions de toutes sortes, mais on peut aussi mettre un document qui n’est pas un contrat, ainsi que le savent les juristes, c’est-à-dire un testament.
Ce n’est donc pas faux de dire " testament ".
Certains auraient préféré parler d’alliance : " Nouvelle Alliance " et " Ancienne Alliance ".
C’est assez juste puisqu’il y a eu une alliance passée entre Dieu et Abraham, symbolisée par la circoncision, et une nouvelle alliance proposée par Jésus.
Problème !
C’est que, en réalité, cette alliance a été ensuite poursuivie par des textes, notamment les textes de la Loi, les fameuses " Tables ", et ces tables étaient enfermées dans un coffre, dans l’ "Arche d’Alliance ".
Moïse et les tables de la Loi (Rembrandt)
En définitive, on peut dire que ce " diathèkè ", ce coffre, peut très bien renfermer le Testament, l’Alliance de Jésus-Christ, comme auparavant le coffre de l’Arche renfermait les "Tables de la Loi ", c’est-à-dire ce que Dieu avait à dire à son peuple. On peut parler d’alliance, de testament. En hébreu, alliance se dit " berîth " qui désigne quelque chose qui est coupé car, probablement, à l’origine, pour conclure une alliance, on coupait un bœuf en deux, en forme de sacrifice, et on passait entre les deux parties de ce bœuf.
Donc, cette " berîth ", cette alliance, correspond à ce que le grec appelle " diathèkè ", le latin " testamentum ", le français " testament ".
Est-ce que la nouvelle alliance de Jésus est différente de l’ancienne et est-elle opposée à l’alliance d’Abraham ? Cela pose un énorme problème. Disons que, d’une manière générale, les Chrétiens ont considéré que la nouvelle alliance était différente de l’ancienne, mais qu’elle n’était pas opposée à l’ancienne. En quelque sorte, il y avait toute une préparation dans l’ancienne alliance qui avait trouvé sa conclusion dans la nouvelle alliance.
Il y a la célèbre formule : " Mille ans et un jour ". Mille ans de préparation qui se seraient conclus en un jour, et ce jour est peut-être le Vendredi Saint, la mort du Christ, ou Pâques, la résurrection du Christ.
Il y a quand même un peuple qui raisonne un petit peu différemment : ce sont les Éthiopiens. Certains sont Juifs, d’autres Chrétiens. Mais ce n’est pas si simple que ça.
Ceux qu’on dit " Juifs ", ce sont les fameux " falashas " qui sont en partie retournés en Israël, et dont, d’ailleurs, certains Juifs mettent en doute la judéité. Les Chrétiens, ce sont les "monophysites éthiopiens " qui croient qu’il y a une seule nature en Dieu, qui est divine, et que la nature humaine de Jésus est absorbée dans la nature divine de Dieu. Ce sont donc des monophysites qui n’ont pas accepté les décisions du concile de Chalcédoine.
Ces Éthiopiens estiment qu’ils sont à la fois les membres de la nouvelle alliance en tant que chrétiens, mais aussi les membres de l’ancienne alliance, comme les Juifs. C’est pourquoi les Éthiopiens sont circoncis et conservent dans leurs églises, dans un tabernacle, les Tables de la Loi. Donc pour eux, en réalité, la question de la nouvelle et de l’ancienne alliance ne se pose pas vraiment, car l’une est en totale continuité de l’autre.
Vous allez me dire " Nouveau Testament " et " Ancien Testament ", deux textes différents pour deux religions différentes, mais deux textes qui se succèdent, et le " Nouveau Testament " fait très souvent allusion à l’ " Ancien Testament ", est-ce qu’il y a des équivalents dans les autres religions ?
Il y a au moins un grand équivalent en Inde, puisque l’Hindouisme est un Védisme réformé. En d’autres termes, l’antique religion védique indienne a été transformée dans l’Hindouisme apparu au début de l’ère chrétienne. Et, encore aujourd’hui, les Indous ont, à la fois, des textes et des soutras de l’Hindouisme, mais ils se réfèrent également aux " Veda ", aux anciens textes védiques qui sont considérés comme des documents fondateurs de l’identité religieuse indienne.
Les conditions de rédaction et de transmission
Le " Nouveau Testament " est un ensemble de 27 livres, tous rédigés en grec et écrits dans la deuxième moitié du 1er siècle, très grosso modo entre 50 et 100 après Jésus-Christ. Je dis " très grosso modo " parce que la question des datations a soulevé d’immenses polémiques, mais en disant entre 50 et 100, on ne se soulèvera pas trop d’oppositions.
Pourquoi 27 livres ? Pourquoi pas 26 ou 28 ? Ça peut se discuter, bien évidemment.
Il existe ce que certains ont appelé " une autre Bible " (Another Bible) qui est composée d’un certain nombre de documents qu’on appelle des textes non canoniques, ou des textes apocryphes, qui ont été rédigés plus tard, au 2ème, 3ème, voire 4ème siècle après Jésus-Christ.
Beaucoup de ces textes ont trait à la vie de Jésus, notamment à son enfance (évangiles de Jacques, de Matthieu, etc..). On les connaît sans le savoir. Ils font référence à la crèche, à l’âne, au bœuf, etc.. Ces textes apportent un certain nombre de compléments intéressants, notamment sur la foi populaire des premiers siècles. Ils n’ont pas été considérés par les églises chrétiennes comme faisant foi.
Il y aussi le célèbre " Évangile de Thomas ", Thomas étant l’apôtre réputé pour avoir évangélisé les régions à l’Est de la Palestine, et notamment l’Iran et l’Inde, à peu près les lieux où Saint Paul n’a pas été. On a deux versions, une en grec, une en copte, qui ont été retrouvées à la fin du 19ème siècle et puis en 1947, en Moyenne-Égypte, à Nag Hammadi.
L’" Évangile de Thomas " est-il canonique ?
La réponse généralement est non pour les Chrétiens, mais certains pensent qu’il pourrait être considéré comme un cinquième évangile. Il y d’ailleurs des livres à ce sujet, dont un en anglais, " Thefive gospels ", qui considère avec intérêt l’ "Évangile de Thomas ", même si ce livre estime qu’il y a peu de textes originaux dans cet évangile. Ce sont de très courtes paroles attribuées à Jésus, et qui se retrouvent dans les autres évangiles.
Il n’y aurait donc que quatre évangiles ?
Eh bien non ! Pourquoi ? Parce que, si on lit les " Épîtres de Paul ", (" épîtres ", ce sont des lettres, quelque chose qui est adressé. De la même racine, on trouve " apostolos ", qui signifie " celui qui est envoyé ". Les épîtres sont des lettres dont l’apôtre est le facteur), on voit que Saint Paul dit : " Mon évangile ". C’est-à-dire qu’il considère que ses lettres à différentes églises de Corinthe, de Rome, de Thessalonique, sont un évangile.
Saint Paul et Conversion de Saint Paul
Cela signifie-t-il que Saint Paul se prend pour Jésus ? Non. Car " évangile " veut dire " bonne nouvelle ", et Saint Paul estime que ses épîtres sont aussi une bonne nouvelle, mais la bonne nouvelle de Jésus-Christ. C’est donc un procédé littéraire que de dire " mon évangile ".
Les Apôtres et Saint Luc
Donc, dans ce " Nouveau Testament ", tel qu’il a été reçu par les Chrétiens, il y a quatre évangiles, un certain nombre d’épîtres, écrites notamment par Paul, Pierre, Jacques et par un certain nombre de chrétiens des premières générations, et un livre très particulier, " Les Actes des Apôtres " qui raconte les premiers temps de l’Église, et qui est attribué à l’auteur de l’ " Évangile de Luc ".
C’est-à-dire que, en réalité, Luc aurait écrit un évangile, plus " Les Actes des Apôtres " qui serait la deuxième partie de son évangile, celle qui suit la fin de la vie terrestre de Jésus.
Et enfin, il y a un dernier livre qui est totalement à part. Il s’appelle " L’Apocalypse ", dite de Jean, même si l’auteur n’est sûrement pas le même que celui de l’ " Évangile de Jean ". " Apocalypse " signifie " dévoilement ", " révélation ". Ce livre appartient à un genre très particulier, un genre littéraire très à la mode au Proche-Orient ancien, sans doute d’origine iranienne, et très répandu dans le judaïsme antique.
Dans les découvertes de Qumrân, on a retrouvé des " Apocalypses ", c’est-à-dire des textes qui prévoient la fin du Monde, et ce qui se passera à la fin du Monde. Car il ne faut jamais oublier que, à l’époque du " Nouveau Testament ", beaucoup, en Palestine, étaient convaincus que la fin du Monde était pour bientôt.
" Les temps sont proches ", dit l’Évangile.
À la suite de tous les malheurs du peuple, la guerre des Macchabées, la guerre des Juifs, les invasions des Grecs, des Romains, les gens étaient persuadés que la catastrophe finale était pour bientôt.
Comme dit Shakespeare : " Un ciel si sombre ne s’éclaircira pas sans une tempête ". Effectivement, l’Apocalypse est la scène, ou la vision de la scène, d’une tempête.
Quand on étudie " Le Nouveau Testament ", il faut constamment garder en mémoire que les gens pensaient que c’était pour bientôt.
" Cette génération ne passera pas avant que ces signes se produisent ".
Cela veut dire que l’enseignement même du " Nouveau Testament est un enseignement qui se veut urgent. Il faut rapidement se convertir. Il ne faut vraiment pas attendre car, après, il sera trop tard.
Ces 27 petits livres, nous les avons dans plusieurs versions. Le plus ancien manuscrit contenant la totalité de ces 27 livres date du 4ème siècle. On l’appelle " Sinaiticus ", car il a été découvert dans le Mont Sinaï, au fameux monastère de Sainte Catherine. Il y en a un autre, " Le Vaticanus ", conservé au Vatican, qui est à peu près de la même époque.
Mais cela veut dire la plus ancienne version " complète " du " Nouveau Testament ".
Par contre, on a des fragments plus anciens. L’un des plus anciens serait un fragment de l’évangile de Jean, conservé dans la collection " Ryland " de Manchester, qui a longtemps été exposé à la "British Library ", et qui daterait d’environ 135 après Jésus-Christ.
On a fait des datations au Carbonne 14 et, curieusement, " L’évangile de Jean " est l’un des textes les plus tardifs du " Nouveau Testament ".
Il aurait été écrit vers 90-100. Et le fragment le plus ancien du " Nouveau Testament " aurait donc été rédigé vers 135, 40 à 45 ans " peut-être " après la rédaction de cet évangile. Dans les manuscrits que nous possédons, il y a peu de variations très importantes. Il n’y a pas de variantes qui remettent en cause l’ensemble du sens, ou des sens, de ce " Nouveau Testament ".
Nous en signalerons quand même quelques unes.
Il y a notamment la fin de l' " Évangile de Marc ", avec l’apparition de Jésus ressuscité, qui ne figure pas dans de nombreux manuscrits.
On pense qu’il s’agit d’un ajout relativement tardif et que, dans une version primitive de l' " Évangile de Marc ", il s’arrêtait au moment où les femmes sont au tombeau de Jésus.
En revanche, il y a d’innombrables variantes de détails sur un mot ou sur un autre. On a des textes pour les spécialistes qui reproduisent le texte grec du " Nouveau Testament ", avec toutes ses variantes en bas de page. Et, on se réfère à ces diverses versions.
Par exemple, nous avons dit que le " Nouveau Testament " était rédigé en grec, mais il y a des versions en " syriaque ", qui est une langue sémitique intermédiaire entre l’Araméen et l’Arabe. Souvent donc, on se réfère à ces versions syriaques qui peuvent être très intéressantes.
Pour l’étude de ces conditions de rédaction et de transmission de textes, on est amené à se référer à un certain nombre de principes.
Les premiers principes, c’est ce qu’on appelle " la critique externe ". On va comparer les divers manuscrits en notre possession. Parfois, on va se dire que si, par exemple, un mot figure dans trente versions et ne figure pas dans cinq versions, la bonne version sera celle des trente manuscrits. Il est vrai que c’est un peu simpliste, une sorte de démocratie du texte, dirons-nous. Si un mot manque dans un seul manuscrit, il y a peu de chance que ce soit un mot très important.
Parfois, on va se fonder sur l’ancienneté des manuscrits. On va se dire que le manuscrit le plus sûr est le plus ancien, pour autant qu’on soit sûr de son ancienneté. On va donc comparer les différents manuscrits en notre possession.
Il y a une autre forme de critique qu’on appelle " la critique interne ". À partir d’un manuscrit, d’un texte, on va faire un travail de réflexion. Dans une version du " Nouveau Testament ", on peut trouver des phrases contradictoires.
Par exemple, on lit dans l’Évangile cette phrase de Jésus :
" Qui n’est pas avec moi est contre moi ".
Et un peu plus loin :
" Qui n’est pas contre moi est avec moi ".
Alors qui croire ? Jésus a peut-être dit les deux phrases, c’est possible, mais on estime que la version, non pas la plus sûre, mais la plus probable, est la " lexio dificilium " (la lecture difficile).
Pourquoi ? Parce qu’on estime que plus un texte est difficile à croire, presque scandaleux, c’est probablement ce qui ressemble le plus à ce qu’a dit Jésus. Cela on ne l’aurait pas inventé.
Et on pense, en l’occurrence, que c’est " Qui n’est pas avec moi est contre moi ". Car, normalement, un homme politique cherche le consensus. Donc, il va dire : " Si vraiment vous n’êtes pas totalement opposés à moi, vous êtes avec moi ".
On pense au contraire que, si Jésus a dit quelque chose, c’est " Qui n’est pas avec moi est contre moi ". C’est-à-dire un texte très dur, destiné vraiment à frapper et, comme dit l’Évangile, " à vomir les tièdes ". Donc on pense que c’est le plus vraisemblable, sans qu’on puisse tout à fait exclure que Jésus a pu prononcer les deux phrases devant des auditoires différents.
De la même façon, dans " Les Béatitudes ", on lit dans celle de Matthieu " :
" Heureux les pauvres en esprit ".
Dans celle de Luc, on lit : " Heureux les pauvres "
Saint Matthieu (Caravage) - Mont des Béatitudes - Saint Luc (El Greco)
On se dit alors que, au fond, le plus dur c’est quoi ?
" Heureux les pauvres ", parce que ça exclut tous ceux qui ne sont pas pauvres, riches ou seulement aisés. " Heureux les pauvres en esprit ", cela n’est pas bien gênant, car on peut être milliardaire et pauvre en esprit. Et " pauvres en esprit ", c’est à peu près impossible à définir.
Donc, on aurait tendance à penser que la version la plus sûre est celle de Luc, " Heureux les pauvres ". Cela étant, ça n’est pas totalement prouvé. Par exemple, on sait très bien que Luc est très sensible à toutes les questions économiques.
Notamment, c’est lui qui parle tout le temps de l’aumône. " Il faut faire l’aumône ". Exactement comme " Le livre de Tobie ", dans l’"Ancien Testament ".
Par contre, Matthieu est moins sensible à cet aspect. Les méchantes langues disent que c’est parce que Matthieu avait beaucoup d’argent. Matthieu est réputé être Lévi le publicain, c’est-à-dire un homme qui devait gagner pas mal d’argent sur le dos du peuple en percevant l’impôt pour les Romains. Après tout, il est possible que Jésus ait dit l’une et l’autre phrase ou, peut-être, que Matthieu ait gommé ce qu’il y avait d’anti-riche dans le discours de Jésus, alors que Luc l’aurait conservé et, peut-être même, l’aurait accentué.
Autre principe de " critique interne ".
Entre deux versions, une longue et une courte, on retient la courte. En effet, on estime que plus un texte est long, plus il y a des chances qu’il y ait eu des ajouts. D’autant plus que les paroles de Jésus ayant d’abord été transmises oralement, et n’ayant été mises par écrit que une ou deux générations plus tard, il paraît très peu probable que les gens aient pu retenir des versions très longues. S’il y a un discours plutôt court chez un évangéliste, et plutôt long chez un autre évangéliste, on pense que ce qui est le plus probablement sorti de la bouche de Jésus est la version courte. J’ai dit " probablement ". Je n’ai évidemment pas dit " certainement ". Nous ne sommes pas dans le domaine des preuves.
Après la " critique externe " et la " critique interne ", il y a la " critique des copistes ". Alors là, les pauvres, on leur tape dessus. Dès qu’il y a un problème, on dit " erreur de copiste ". Ce n’est pas impossible. Il n’y avait pas de scanner à l’époque. Il est donc fort probable que des copistes se soient trompés, aient commis des confusions, des omissions, des fautes de grammaire.
D’autre part, on constate qu'il y a très souvent ce qu’on appelle des " sémitismes " ou des " héllénismes ".
Cela signifie que, dans les Évangiles, on trouve des tournures différentes qui renvoient aux spécificités des langues sémitiques, comme l’Araméen que parlait Jésus, ou à l’inverse, des héllénismes qui renvoient à la spécificité de la langue grecque, celle du " Nouveau Testament ".
Par exemple, est-ce que Jésus fût transfiguré ?
Transfiguration de Jésus (Raphaël)
C’est ce que dit l’évangile de Marc : " Jésus fût transfiguré " (en grec, " métamorphosé "). Chez Luc, on lit : " L’aspect de son visage changea ".
Là, c’est quelque chose de différent, parce que " métamorphosé " est un terme typiquement grec et très abstrait. Par contre, quand Luc dit : " L’aspect de son visage changea ", c’est beaucoup plus visuel et cela correspond beaucoup mieux au mode d’expression des peuples de langue sémitique.
En d’autres termes, il n’y a pas une version vraie ou une version fausse, il y a des versions qui s’adressent à des auditeurs ou à des lecteurs différents, les uns de langue grecque, les autres de langue araméenne, hébraïque, etc..
Il nous faut enfin parler d’une quatrième critique, la " critique des sources ". On va essayer de lire les Évangiles et aussi, éventuellement, d’autres textes comme " Les Actes des Apôtres ", en pensant à des pré-textes, et en se disant que, avant les Évangiles, il y a eu quelque chose. Il y a eu un enseignement oral de Jésus, transmis oralement. Il y a eu probablement des petits fragments écrits qui, mis bout à bout, ont formé les Évangiles.
Cette " critique des sources " nous amène à définir ce qu’on appelle les " synoptiques ". C’est-à-dire que l’on remarque que trois évangiles ont beaucoup de ressemblance, ceux de Matthieu, Marc et Luc, et qu’un quatrième est assez différent, celui de Jean.
Car on constate que chez Jean, il y a beaucoup de passages qu’on ne retrouve pas dans les trois autres évangiles, comme les célèbres Noces de Cana, les grandes méditations de Jésus (" Je suis la vigne, je suis le bon pasteur "), ou encore comme le célèbre prologue de l’évangile de Jean (" Au commencement était le Verbe et le Verbe s’est fait Chair ").
Cela ne se retrouve pas dans les trois autres évangiles dits " synoptiques " (synopse veut dire " qui peuvent être vus ensemble ").
Concernant ces trois synoptiques, Matthieu, Marc et Luc, la " critique des sources " montre qu’ils ne sont pas indépendants, mais qu’on a beaucoup de mal à définir leurs liens et à leur trouver des sources. Il y a plusieurs théories des sources. Il y a des deux sources, des quatre sources.
La plus connue est la théorie des " deux sources ". Elle dit que, en réalité, il y aurait eu deux sources écrites au début des Évangiles. L’une de ces sources est Marc. C’est le deuxième évangile, mais c’est probablement le plus ancien des quatre évangiles. La deuxième source qu’on appelle " Q " (en allemand " Quelle " qui veut dire " source ") aurait été des fragments.
À partir de l’évangile de Marc, auquel on ajoute la " source Q ", on obtient les deux autres évangiles synoptiques, Matthieu et Luc. Mais, chacun de ces deux évangiles, en plus des deux sources " Q " et Marc, a encore des passages propres. L’histoire des Rois Mages, par exemple, se trouve chez Matthieu, mais pas chez Luc. Par contre, Luc a ses propres passages, dont " Le Magnificat ", la " Parabole du Bon Samaritain " ou la " Parabole de l’enfant prodigue ".
Pour nous résumer, vous avez la source " Q ", la source " Marc ", puis des éléments propres à Matthieu, des éléments propres à Luc, et tout ça finit par former les Évangiles synoptiques.
Peut-on essayer de deviner ce qu’était cette source " Q " ? (" Q " n’est pas un évangile à proprement parler, mais plutôt une sorte de proto-évangile) On a essayé de le faire et cela montre que, dans cet évangile primitif, il n’y avait pas les évangiles de l’enfance de Jésus, il n’y avait rien avant la vie publique de Jésus, probablement parce que les gens ne s’y intéressaient pas à l’époque, et il n’y avait pas le récit de la Passion, ni celui de la Résurrection.
Ce sont des choses qui auraient été ajoutées ultérieurement par les évangélistes.
Par contre, dans cette source " Q ", il y a un personnage qui joue un rôle très important : c’est Jean-Baptiste.
Saint Jean-Baptiste (Leonardo da Vinci)
Jean-Baptiste, le précurseur de Jésus, un peu comme le Zina, en Inde, a été le précurseur de Bouddha. Pourquoi joue-t-il un rôle très important ? Parce que Jean-Baptiste est un peu le pont entre le Judaïsme et Jésus, et que c’est un personnage qui a suscité un culte énorme au Proche-Orient. Il existe encore, notamment en Irak et en Iran, des Mandeans qui vénèrent le prophète Jean-Baptiste.
Dans cette source " Q ", il y aurait eu tous les passages relatifs à Jean-Baptiste et la vie publique de Jésus.
Est-ce que tout cela est de l’ordre de la certitude ? Bien sûr que non. C’est de l’ordre de la probabilité.
Peut-on aller plus loin dans ce domaine de la probabilité ? Ce n’est évidemment pas facile. Certains ont essayé. Un séminaire, composé entre autres de théologiens, s’est réuni il y a quelques années aux Etats-Unis. Il y avait des catholiques et des protestants. Ils ont essayé de classer tous les passages des Évangiles en quatre couleurs.
Les passages en rouge sont les passages dont les théologiens estiment que ces mots-là ont " sûrement " été prononcés par Jésus. Les passages en rose pour les mots " probablement " prononcés par Jésus. Les passages en gris pour les mots qui n’ont " probablement pas " été prononcés par Jésus. Enfin les passages en noir pour les mots qui n’ont " sûrement pas " été prononcés par Jésus. Ce sont des ajouts ultérieurs.
Est-ce scientifique ? Non, c’est démocratique, mais pas scientifique. On a réuni un aéropage de théologiens, ils ont voté. Pourquoi pas ? Pour Lourdes et les guérisons, on vote aussi à la commission médicale pour savoir si les guérisons sont scientifiquement explicables ou non. Là, c’est plus démocratique que scientifique, mais ça n’est pas du tout dépourvu d’intérêt.
Je vous signale tout de suite que l’évangile qui a le plus de rouge et de rose est celui de Marc, probablement le plus ancien. Celui qui a le plus de noir, c’est celui de Jean, le plus récent.
Là encore, il ne faut pas se méprendre. Cela ne veut pas dire que l’évangile de Jean soit un faux évangile. Cela veut dire que l’évangile de Jean est une interprétation théologique du message de Jésus beaucoup plus qu’un récit historique. Ce n’est évidemment pas tout à fait pareil. C’est une méditation plus qu’un récit.
Vous allez me dire que tout ça est bien gentil, mais qu’il faut bien se mettre d’accord. Pour qu’il y ait une religion, il faut qu’il y ait un texte dont on soit sûr, que ce texte soit bien délimité et qu’on dise : " Voilà le texte sacré ".
C’est ce qu’a fait l’Église, on ne sait pas au juste quand, ni comment.
Il est probable que le canon du " Nouveau Testament " a été fixé vers la fin du 2ème siècle. Ce canon est attesté par une décision du concile de Laodicée qui se serait tenu – on ne sait pas exactement quand – entre 340 et 380 après Jésus-Christ. Et enfin, et là on est certain de la date, ce canon, avec l’ordre des livres, a été fixé par le Concile de Rome, suivi d’un décret du Pape Damase en l’an 382.
C’est ce canon, ce texte pontifical, qui ratifie les décisions d’un concile, qui fait qu’il y a 27 livres dans l’ordre que vous savez et qui est fixé.
Cet ordre, fixé par l’Église, est chronologiquement faux.
Le premier évangile, Matthieu, est postérieur au second, celui de Marc. À l’époque, il est évident qu’on était absolument incapable de fixer une chronologie des Évangiles. Et ceci pour une bonne raison. Nous connaissons aujourd’hui certainement beaucoup mieux les conditions de rédaction du Nouveau Testament qu’en l’an 382. Aujourd’hui, il y a eu un certain nombre de découvertes archéologiques, de progrès de la connaissance des textes, qui nous permettent d’avoir plus de références qu’à l’époque.
La question de la chronologie n’est pas non plus totalement secondaire.
Prenons un seul exemple : le temple de Jérusalem a été détruit en 70 après Jésus. Il y a des textes du " Nouveau Testament " qui font allusion à cette destruction, et d’autres non. Cela a été un événement tellement énorme, puisque cela a été la fin du Judaïsme antique et des sacrifices au Temple, qu’on pense que si l’on n’en parle pas, c’est que ça ne s’est pas encore produit.
Destruction du temple de Jérusalem (Poussin)
Pour prendre un exemple contemporain, je dirai qu’un livre sur l’Islamisme qui ne parlerait pas aujourd’hui du 11 septembre, aurait été écrit avant le 11 septembre.
C’est un peu la méthode de raisonnement que l’on suit.
Un autre point assez important est que les décisions de ce Concile de Rome et le décret du Pape Damase citent les textes du " Nouveau Testament " et les Épîtres. On donne la liste des épîtres de Paul : romains, corinthiens, éphésiens, thessaloniciens, et jusqu’aux hébreux. Aujourd’hui, on est presque sûr que l’"Épître aux Hébreux" est d’un autre auteur que Paul, probablement même d’une autre école théologique, car le discours n’est pas tout à fait le même. Cela ne veut pas dire qu’on réfute cet épître. Cela veut dire seulement qu’il est d’une autre école que celle de Paul.
N’oublions jamais que, lorsqu’on se réfère à un auteur du " Nouveau Testament ", ce n’est pas à un homme seul qu’on se réfère, mais plutôt à une école : l’école de Luc, l’école de Jean, l’école de Paul, très voisine de celle de Luc. À l’époque, on n’avait pas le souci des droits d’auteur. Donc, en réalité, attribuer un texte à un auteur, c’est attribuer un texte à une mouvance théologique.
D’ailleurs, pour prendre l’exemple de Paul, il fait souvent allusion à ses collaborateurs : Tite et Timothée. De la même façon, Luc fait allusion à son cher Théophile. On pense donc que c’est un petit groupe d’hommes qui avait une communauté de foi. On pense aussi que Paul avait des secrétaires.
Voilà ce qu’on peut dire sur ce canon qui, bien sûr, est un canon qui est clos pour les Chrétiens, même si on peut légitimement se poser cette question : " Et si un jour, dans les sables, dans une grotte, comme à Qumrân, on retrouvait un autre évangile, un cinquième, un sixième, un septième, qu’est-ce que ça voudrait dire ? ".
Certains, et je fais allusion au succès du " Da Vinci Code ", se posent la question et la réponse est toujours : " Cela devrait atténuer les croyances, réduire la Foi ". Ce n’est pas si certain, car la multiplicité des écrits parallèles n’est pas forcément le signe d’une inexistence, d’une vérité ou d’une réalité historique. C’est plutôt le signe d’une différence dans la réception d’un message ou d’un enseignement.
Le fait qu’il y ait quatre Évangiles ne veut pas dire qu’il y ait quatre histoires différentes de Jésus. Cela veut dire qu’il y a quatre interprétations du message et de la vie de Jésus.
De la même façon, il y a deux Talmuds pour les Juifs, celui de Babylone et celui de Jérusalem. Cela ne veut pas dire qu’il y en ait un vrai et un faux. Cela veut dire qu’il y a eu deux réceptions différentes de la tradition juive.
Quand Herzog est allé en haut de l’Annapurna, il a sorti un bouquin, car il avait le monopole, qui s’appelait " Annapurna premier 8000 ". On a dit : " Voilà, c’est le récit de l’Annapurna ". Evidemment, c’est le seul. Ensuite, on a vu Lachenal qui a dit, dans ses carnets, que ça ne s’était pas tout à fait passé comme ça. Puis, on a vu Rébuffat et Terray exprimer un point de vue différent. Cela ne veut pas dire qu’il y a eu quatre ascensions. Cela ne veut pas dire qu’il y a eu un récit vrai, et trois faux. Cela veut dire qu’il y a eu quatre interprétations différentes d’un même événement.
Quand vous lisez Saussure, eh bien Saussure n’a pratiquement rien écrit. Les théories linguistiques de Saussure ont été notées par quatre de ses élèves, qui n’avaient pas forcément les mêmes conceptions et qui ont comparé leurs notes.
Je pense que le nombre d’auteurs différents, voire divergents, du " Nouveau Testament ", n’est pas en soi un indice de non véracité des événements. Cela doit simplement nous inciter à une certaine modestie. Il n’y a aucune certitude, mais un faisceau de présomption, une intime conviction. C’est au lecteur de juger en son âme et conscience.
Le contenu du message
Je résumerai ce contenu du message par cette phrase d’un apôtre à Jésus :
" Vers qui irions-nous Seigneur ? Tu as les paroles de la vie éternelle "
Le message de Jésus est celui d’une parole salvifique.
La guérison, c’est par la parole.
Et ceci renvoie directement à l’ "Ancien Testament " : " Dieu dit et cela fut ".
On retrouve d’ailleurs cette allusion à une parole fondatrice et créatrice dans le prologue de l’évangile de Jean : " Au commencement, le Verbe était ".
Donc, le " Nouveau Testament ", ce serait le Verbe, la parole de Jésus, le Verbe qui s’est fait Chair. Le dieu créateur de l’ Ancien Testament devient dans le Nouveau Testament, un dieu géniteur. Il y a un Fils de Dieu. C’est l’Incarnation.
Ceci est inconcevable pour les Musulmans et pour les Juifs. Dieu est créateur, mais il n’enfante pas. Par contre, pour les religions grecques et romaines, c’était très commun. Les dieux enfantaient avec des mortels, des héros par exemple. Il y avait une généalogie des dieux.
Dans ce Verbe incarné, l’Esprit a pris corps.
Ceci renvoie à ce que le dogme chrétien a appelé " La Trinité ", qui fait un rapport entre le Père, l’Esprit et le Fils, le Fils ayant un corps.
Ceci est naturellement inconcevable pour les Musulmans comme pour les Juifs qui sont partisans d’un strict monothéisme, et pour lesquels il est invraisemblable que Dieu ait un corps. De la même façon que Mohamed qui a un corps, mais n’est pas Dieu, ou les prophètes, comme Isaïe, qui ont un corps, mais ne sont pas Dieu.
Tandis que pour le " Nouveau Testament ", d’après ce que disent les Évangiles, Jésus est Fils de Dieu, il a un corps et il est habité par l’Esprit.
Voilà pour ce qui concerne la parole créatrice, fondatrice, et le Verbe incarné.
En ce qui concerne maintenant la vie éternelle : " Tu as les paroles de la vie éternelle ".
Il y avait, à l’époque de Jésus, un vaste débat sur l’après-mort.
D’un côté, il y avait les Pharisiens qui, après la guerre des Macchabées, sont des Juifs croyant en une vie éternelle, en un monde meilleur, dans un autre univers, un Paradis au Ciel. Jésus fait partie de ces Pharisiens. C’est un Pharisien libéré.
D’autre part, il y a les Sadducéens, proches du Temple, qui ne croient pas en un futur meilleur au Ciel, mais en un futur meilleur sur la terre d’Israël, la Terre Promise " où coulent le lait et le miel ".
Le Paradis (Bosch) et la Terre promise
Or, Jésus dit qu’il croit en un royaume : " Mon royaume n’est pas de ce monde ". Ce royaume n’est pas sur Terre, il est au Ciel. La vie à venir n’est pas dans la Terre Promise, mais elle est là-haut.
On connaît la phrase de Jésus au bon larron : " En vérité je te le dis, aujourd’hui même tu seras avec moi au Paradis ".
Ceci a encore des conséquences actuelles, et même des conséquences historiques, puisqu’il y a toujours des Juifs qui croient au Ciel et des Juifs qui n’y croient pas. Le mouvement sioniste est né au 19ème siècle dans des milieux juifs qui croyaient en une vie meilleure sur la terre d’Israël, et certains de ces Juifs étaient d’ailleurs athées. Aujourd’hui encore, il y a des Juifs qui croient en une vie éternelle céleste, et d’autres qui n’y croient pas.
Jésus croyait en une vie éternelle, céleste, en tout cas pas seulement sur la terre d’Israël. Dans cette conception du royaume céleste, il y a une rédemption par la croix.
La Crucifixion et le Golgotha
C’est-à-dire qu’il y a une souffrance, une mort et une résurrection.
" Si le grain ne meurt, il ne portera pas de fruits "
C’est en cela qu’il y a une radicale nouveauté dans le " Nouveau Testament ".
Des dieux qui ressuscitent, il y en a pas mal. Il y a Osiris en Égypte, Adonis au Liban-Phénicie qui meurt et ressuscite, il y en a plein. Par contre, des dieux qui meurent crucifiés comme des rebelles ou des esclaves, on peut regarder dans toutes les religions du monde, il n’y en a pas un seul. C’est là où est le scandale de la Croix. C’est un dieu qui meurt et ressuscite dans une vie éternelle qui va succéder à une mort infâme.
En cela, Jésus a un destin unique, celui d’un crucifié ressuscité. Cependant, en même temps, il a un message qui s’inscrit dans une grande tradition, message que l’on trouve déjà dans la religion zoroastrienne, dans " Le livre des Macchabées ", chez les Pharisiens : il y aura un jugement des vivants et des morts, un jugement des bons et des méchants.
La résurrection et le Jugement dernier (Michel-Ange)
Ce message de Jésus est, en soi, conforme à la Loi de Moïse et à l’éthique juive.
Mais, et c’est cela qui fait la différence du " Nouveau Testament " par rapport à l’ancien, ce message est proposé non seulement aux Juifs, il est aussi proposé par Jésus aux Romains (notamment au célèbre centurion : " Seigneur, je ne suis pas digne que tu viennes chez moi, mais dis seulement une parole et mon serviteur sera guéri "), et il est également proposé parPaul aux Grecs. Comme il dit : " Il n’y a ni Juifs, ni Grecs, tous sont enfants de Dieu ".
Le salut n’est pas seulement offert aux Juifs, mais aussi aux Goyims, aux Païens, aux Nations.
Les pélerins d'Emaus (Rembrandt)
C’est la radicale nouveauté de ce " Nouveau Testament ", qui va être marquée par l’Assemblée de Jérusalem où, après de très vifs débats et controverses, on décidera d’admettre au baptême - qui, à l’époque, n’était pas spécifiquement chrétien puisqu’il y avait le baptême de Jean-Baptiste ou d’autres – des gens non circoncis, qui ne mangeaient pas casher et n’obéissaient pas aux 613 mitzvoth de la Tora.
C’est en cela que le Christianisme se sépare du Judaïsme. Ce n’est pas seulement le message de Paul, qui était un homme né en Turquie, de langue grecque, de religion juive et de citoyenneté romaine. Ce n’est donc pas seulement Paul qui a inventé cela. On le trouve déjà dans le message de Jésus adressé aux Romains, et chez les premiers convertis comme, par exemple, le centurionCorneille chez qui va Saint Pierre, ou le célèbre ministre des finances de la Reine d’Éthiopie, un eunuque, qui fait du char-stop sur la route de Jérusalem et est pris en stop par Philippe.
Des centurions romains, un ministre des finances éthiopien, et les voilà qui sont parmi les Chrétiens.
Le Christianisme accède alors au rôle de religion universelle et connaîtra une vive expansion. Malheureusement, il est amené à se séparer progressivement du Judaïsme et, trop souvent, il va céder à l’anti-judaïsme. Il ne se soumet pas à la Tora, à la Loi juive, mais il accepte le Droit Romain, les lois romaines, conformément à ce que dit l’ "Épître aux Romains " de Paul, chapitre 13 : " Soyez soumis aux autorités ". Autorités romaines à l’époque, française, allemandes, béninoises, vietnamiennes, peu importe. Le Christianisme va s’adapter aux diverses lois, coutumes et traditions qui seront romaines, puis arméniennes, persanes, berbères, pour parler seulement du Christianisme antique.
En ce sens, Jésus a fait au Proche-Orient, par rapport au Judaïsme, ce que le Bouddha avait fait en Inde, par rapport au Védisme.
Le Védisme, devenu Hindouisme, est propre à la culture indienne, alors que le Bouddhisme s’est répandu dans toute l’Asie et au-delà. De même, le Judaïsme était propre à la nation juive, même si beaucoup de Juifs étaient de culture grecque, alors que le Christianisme n’a pas de patrie.
Je répète toujours que l’expression " Terre sainte " ne figure pas une seule fois dans le " Nouveau Testament ".
Le " Nouveau Testament " est-il donc infidèle à l’"Ancien Testament " ? Ça se discute beaucoup.
On ne peut pas dire que le " Nouveau Testament " soit la négation de l’ancien. On peut seulement dire que le " Nouveau Testament " s’adresse à un public différent de l’ancien. Jésus n’annule pas Moïse, et Paul ne déforme pas Jésus. Mais il y a des mondes différents. Par exemple, le monde grec, dans lequel s’insère le " Nouveau Testament ", n’est pas l’univers sémitique de l’"Ancien Testament ".
En voici deux exemples.
Premier exemple. On lit le célèbre salut de l’ange Gabriel à Marie :
" Salut Marie, pleine de grâce "
Ça donne en grec : "kekaritomene ", c’est-à-dire un participe parfait passif. En hébreu et en araméen, on ne notait pas les voyelles.
Essayez d’écrire " kekaritomene " sans noter les voyelles, c’est totalement impossible. Or, d’autre part, le concept même d’une Marie ayant été comblée de grâce, est extrêmement difficile à formuler dans la grammaire araméenne ou hébraïque.
Deuxième exemple.
Les Chrétiens se sont disputés au 4ème siècle pour savoir si Jésus, le Fils, et Dieu, le Père, étaient de natures identiques ou ressemblantes.
Identique, c’est " homoousios ". Ressemblant, c’est " homoiousios ". Il y a sept voyelles. Or, en hébreu et en araméen, on ne note pas les voyelles. Les Grecs sont les géniaux inventeurs des voyelles. C’est par la notation des voyelles qu’on pourra faire des mots très longs et des pensées très complexes. Notamment, toute la philosophie et toute la grammaire grecques, hyper développées et nuancées, s’appuient sur cette invention des voyelles.
Ce qui signifie que les grands débats théologiques du Christianisme (par exemple la nature de Marie – qu’est-ce que c’est que " comblée de grâce " ? qu’est-ce que cette Marie qui est un être à part ?) ou les grands dogmes trinitaires, tout cela était informulable dans la langue et dans la pensée de l’"Ancien Testament ".
Ce qui signifie bien que la problématique du " Nouveau Testament " n’est pas opposée à celle de l’ancien, elle est différente.
On ne peut pas confondre les deux Testaments. On ne peut pas non plus les opposer.
L'ange au sourire de Reims et La Pieta (Michel-Ange)
Attention : Cette conférence ne doit pas être reproduite sans autorisation de l'auteur