La république Tchèque : Du printemps de Prague à la "Révolution de velours"
Le jeudi 8 janvier 2004
par Jacques RUPNIK
Professeur à Sciences-Po, Paris
Spécialiste de l'Europe de l'Est
Directeur de recherches au Centre d'études et de recherches internationales
De 1990 à 1992, conseiller du Président Vaclav HAVEL
Pour bien situer l’histoire de ce pays, il est facile d’en retenir les principaux repaires. On pourrait dire que c’est une histoire en forme de huit. En effet, les grandes dates historiques de la Tchécoslovaquie se terminent par un huit.
- 1918, en octobre, création de l’État Tchécoslovaque, au lendemain de la première guerre mondiale.
- 1938, Munich, disparition de la Tchécoslovaquie sous la pression de Hitler, chancelier du III° Reich, mais avec la pression non négligeable des alliés, Français et Anglais.
- 1948, " Le Coup de Prague ", la prise de pouvoir par les communistes, c’est la coupure de l’Europe en deux.
- 1968, le " Printemps de Prague ", la tentative de trouver une troisième voie entre l’Est et l’Ouest avec le Socialisme à visage humain. Cette expérience reste identifiée en la personne d’Alexandre Dubcek, le leader qui fut la personnalité du moment.
- 1989 (et non 1988), c’est la chute du Communisme et la « Révolution de Velours », dont le nom est associé à celui d’une autre personnalité tchèque importante, Vaclav Havel
Nous allons rapidement évoquer ce parcours, voir quels ont été les héritages de chacun de ces tournants, et examiner en quoi cette expérience est intéressante, pour discerner ce que ces évènements nous apprennent sur l’Europe centrale, sur l’Europe élargie, en ce début de l’année 2004.
Nous aurions pu remonter à d’autres « Huit » de l’Histoire :
- 1848, le " Printemps des Peuples ", par exemple. À cette époque, Prague a été l’un des hauts lieux de la révolution démocratique qui avait ébranlé toute l’Europe et l’empire des Habsbourg en particulier. Cette date est un tournant de l’Histoire ; le début de la politique tchèque remonte à 1848. C’est le moment où l’on passe de l’affirmation d’une identité culturelle à l’élaboration d’un programme politique. Ce programme est lié à la Révolution démocratique venue de France, et étendue à toute l’Europe.
Dans le cas tchèque, cet événement a pris une importance particulière puisqu’il s’agissait, d’une part, du choix de la démocratie, mais aussi de celui de préserver l’Empire Habsbourg.
Il n’est pas sans intérêt d’évoquer cet héritage impérial parce qu’il illustre bien les choix de ce pays situé au centre de l’Europe, géographiquement et historiquement.
Il se trouve que les grands tournants que nous venons d’évoquer, ceux de l’histoire Tchèque et, plus tard de l’histoire Slovaque, ont été les grands tournants de l’histoire européenne.
Quand nous disons, 1848, 1918, 1938, 1948, 1968, 1989, ce sont les dates d’évènements qui ont ébranlé l’ordre européen ; et Prague et la Bohême sont, à certains égards, révélateurs des grandes fractures de l’histoire européenne.
Quelle fût la position des Tchèques en 1848 ?
Le dilemme, qui se posait aux Tchèques en 1848, comme à d’autres nations de l’Empire des Habsbourg, était le suivant :
« Voulez-vous suivre la Révolution et le mouvement démocratique dont le bastion est le parlement de Francfort, et la pensée radicale démocratique allemande ? Ou bien, voulez-vous plutôt vous tourner vers la protection du grand frère slave, c’est-à-dire la Russie tsariste ? ».
L’empire des Habsbourg se trouvait face à deux adversaires, un adversaire allemand, démocrate, et un adversaire russe, slave et autocrate.
La réponse des Tchèques, donnée par l’historien François Palachy, qui est le fondateur de la République Tchèque, se trouve dans une célèbre lettre au parlement de Francfort dans laquelle il disait :
« Nous étions là bien avant vous ! Bien avant d’être conquis par l’Empire, nous existions et nous serons là après. Si vous nous demandez de devenir des Européens démocratiques, progressistes, et de disparaître en tant que Nation Tchèque, cela ne nous intéresse pas ! »
Refus donc aux révolutionnaires Allemands, mais aussi refus, poli, à la Grande Russie tsariste ; ces deux refus ont été signifiés, au cours du congrès, panslave, tenu à Prague en 1848, pendant la Révolution.
Les Tchèques apprécient d’être soutenus par les frères slaves face au pangermanisme, mais pas au point de sacrifier les idéaux de la démocratie et de liberté auxquels ils sont très attachés. Face à ces deux travers, l’Allemagne et la Russie, les Tchèques choisissent le moindre mal, c’est-à-dire l’Empire des Habsbourg.
Palachy a cette formule :
« S’il n’existait pas il faudrait l’inventer »
Le raisonnement est le suivant : au sein de cet empire, les petites nations slaves représentent plus de la moitié de la population. Les Allemands étant dominants mais minoritaires, il convient donc de transformer l’empire, de lui donner une forme fédérale pour que tout le monde y trouve son compte, y compris les petites nations dont les Tchèques font partie.
Cela, c’était l’héritage de 1848, mais cet héritage ne s’est pas réalisé. L’empire n’a pas été transformé en fédération comme le souhaitaient les Tchèques.
En 1867, on a fait un Empire Austro-hongrois.
Les Hongrois se refusaient à inclure les Tchèques dans cet arrangement ; peut-être ont-ils eu tort, car cela aurait sauvé l’empire si l’on avait réussi à fédéraliser les nations constituant l’empire.
Cette idée de fédération est sans doute arrivée trop tard, pendant la première guerre mondiale. Les bonnes idées réformistes arrivent souvent quand l’édifice est déjà en péril.
De ce fait, les Tchèques, exclus de la Ligue Austro-Hongroise, ont opté pour l’indépendance, et pour la création d’un état indépendant. Leur leader politique, Thomas Masaryk, philosophe, leader des Tchèques en exil pendant la première guerre mondiale, est devenu le premier président de la République tchécoslovaque en 1920.
En exil à Londres, Thomas Masaryk, y avait donné une série de conférences, ainsi que d’autres conférences à Paris avec l’historien Ernest Denis, lui-même auteur d’études sur les peuples Slaves et la Bohême. En exil à Londres, Masaryk avait comme correspondant le professeur, Robert Tussen Watson.
Thomas Masaryk, était un grand professeur qui avait enseigné à Vienne, puis à Prague, avant de devenir un leader politique. Au cours de la première guerre mondiale, en 1916 et 1917, il essaie de formuler des réflexions sur la future Europe. Il écrit « La Nouvelle Europe », livre réédité, voici deux ans, aux éditions L’Harmattan. C’est un texte de circonstance qui demeure intéressant de nos jours, alors que l’Europe se recompose. Il y expose certains règlements de l’époque. Entre autres, il propose la création d’un nouvel ensemble, sur les débris des empires, l’empire Habsbourg, l’empire Russe, l’empire Ottoman.
Il y expose comment cette Europe des petites nations, attirée par l’idéal démocratique, pourrait, en partenariat avec l’Occident, créer un nouvel ensemble démocratique stable.
Ce sont là des idées qui ne sont pas éloignées de celles que l’on a entendues s’exprimer après 1989. En particulier, l’idée de reconfigurer l’Europe après la disparition d’un autre empire, l’Empire soviétique.
Il y a là le premier symbole de ce qu’incarnait la Tchécoslovaquie dans la période 1918-19 .(Munich).
Masaryk est mort en 1937. Le personnage de Masaryk était largement identifié à la Tchécoslovaquie démocratique de l’entre-deux-guerres. Aussi est-il important de mettre l’accent dessus car les nouveaux états, qui sont nés après 1918, ont tout emprunté des constitutions sur le modèle occidental. Chacun empruntant à sa guise, les uns sur le modèle français, d’autres s’inspirant de la constitution américaine. Les Roumains avaient une constitution d’inspiration belge.
Mais si c’est une chose que d’élaborer une constitution, c’en est une autre que de la mettre en œuvre et de pratiquer la démocratie.
Dix ans après l’avènement de ces états nations nouveaux ou reconstitués, on a pu constater que très peu d’entre eux étaient restés démocratiques. Au début des années trente, la plupart d’entre eux avaient adopté des régimes autoritaires, mais non « fascistes ». La Tchécoslovaquie faisait encore exception en Europe Centrale. Elle demeurait le bastion de la démocratie et l’alliée privilégiée de la France avec la
« Triple Entente », qui comportait la Roumanie et la Yougoslavie. Jusqu’au début de la guerre, et de l’occupation allemande, ces pays ont constitué le bastion de la démocratie du centre de l’Europe.
La Tchécoslovaquie est le pays le plus développé d’Europe Centrale. Avant 1914, les deux tiers de l’industrie de l’Empire Autrichien se trouvent concentrés en Bohême, et la seconde guerre mondiale fut pour la Tchécoslovaquie un véritable boom économique.
Au lendemain de cette guerre, la Tchécoslovaquie était classée parmi les dix pays les mieux placés pour leur revenu par habitant au monde. Elle se plaçait devant l’Allemagne, l’Autriche etc.…
Il est bon de s’en souvenir, car on a l’impression de voir arriver, avec l’élargissement de l’Europe, les parents pauvres de l’Est. Mais il faut se souvenir que certains d’entre eux sont devenus pauvres après une expérience qu’ils n’avaient pas choisie.
Libérés par l’armée rouge, et non par l’armée américaine, ces pays se sont retrouvés dans le bloc soviétique. Ils sont passés, au revenu par tête, du dixième rang au quarante-deuxième.. Tel est le bilan de l’expérience communiste.
Ce double héritage est important : celui de la démocratie, entre les deux guerres mondiales, avec la figure de Thomas Masaryk, le philosophe roi, et l’héritage industriel d’un pays riche en industrie avant le communisme. C’est ce qui différencie la Tchécoslovaquie des pays qui ont été industrialisés par le système communiste : prédominance de l’industrie lourde, collectivisation de l’agriculture auxquelles peuvent être ajoutées toutes les particularités du modèle socialiste.
À l’origine, l’industrialisation de la Bohême avait été réalisée dans le contexte d’une économie de marché et avec l’existence d’une société civile différenciée qui avait une autonomie par rapport à l’Etat. Par contre, l’industrialisation de type socialiste, développée dans toute l’Europe de l’Est après la guerre, se faisait par la liquidation de l’économie de marché mais aussi par la disparition de la société civile.
Il est clair que le fait d’avoir connu cette expérience de la société civile fut un acquis important pour la Tchécoslovaquie après 1989. Cette expérience n’avait, en fait, duré que vingt années.
Masaryk lui-même disait :
« Nous avons besoin de cinquante ans pour véritablement consolider notre état démocratique ».
Néanmoins, des traces profondes subsistaient dans la culture politique du pays.
1938 - LE GRAND TOURNANT
Les espoirs que les Tchèques avaient mis dans les démocraties occidentales sont déçus. Ils découvrent que ce en quoi ils avaient cru en 1918 (la sécurité collective, la Société des Nations, les traités d’alliance avec la France et la Grande-Bretagne, au moment où Hitler imposait son ultimatum), ne pesait pas lourd ; comme le montre la façon dont la minorité allemande, dans la région frontalière des Sudètes, a été utilisée par l’Allemagne pour démembrer la Tchécoslovaquie avec la complicité des démocraties occidentales.
Ce lâchage est à l’origine d’un grand traumatisme ; il explique qu’une partie de l’opinion publique tchèque se soit tournée, au lendemain de la guerre, vers l’aide du grand frère russe et vers les communistes.
L’’Occident avait déçu par son attitude face à l’Allemagne.
Les Soviétiques avaient libéré la Tchécoslovaquie et étaient arrivés les premiers à Prague. Ce n’était pas un privilège uniquement stratégique, c’était aussi le moyen d’influencer politiquement le pays au lendemain de sa libération.
1938, marque la fin de la démocratie et l’instauration de l’influence nazie. Elle sévira durant toute la guerre.
Faut-il rappeler que la Tchécoslovaquie fut le premier pays occupé par les Nazis au mois de mars 1939 et le dernier libéré, en mai 1945 ? La ville de Prague a été libérée un jour après Berlin. Nous célébrons, le 8 mai, la fin de la guerre. Mais, à Prague, la fin de la guerre est le 9 mai.
LES MÉFAITS DU TOTALITARISME
Il y eut donc ce premier totalitarisme qui, par la destruction des élites aussi bien que celle de l’ordre politique et social, a préparé le terrain de la Révolution Communiste, dix ans après,
1938-1948, période de passage d’un totalitarisme à l’autre, de la domination du Reich allemand à la domination soviétique.
1948 est donc un tournant très important pour la Tchécoslovaquie, comme pour le reste de l’Europe. La conquête soviétique de février 1948, le fameux coup de Prague, marque la prise de pouvoir par les communistes. C’est aussi la fin de « l’interlude » entre les alliés et Moscou, lequel s’était noué pendant la guerre entre 1941 et 1945. Les accords de Yalta en sont le grand symbole.
Cet interlude se termine avec le « Plan Marshall » en 1947, mais surtout avec le « Coup de Prague » en février 1948.
LA GUERRE FROIDE
Après février 1948, « la guerre froide » est en place. L’Europe est divisée en deux blocs hostiles. Prague devient un symbole. Toute l’Europe comprend que la division militaire de l’Europe est acquise ainsi que la division idéologique. Il s’agit en effet d’un empire fondé sur une idéologie et sur un système de pouvoir basé sur le contrôle total.
Mes étudiants de Sciences-Po, trop jeunes, ne mesurent pas ce qu’a été véritablement cette coupure de l’Europe, « Le Rideau de Fer », l’impossibilité de communiquer.
La réalité d’une autre Europe, celle que l’on appelait « Républiques Populaires de l’Europe de l’Est ». Formule qui repose sur un triple mensonge : ce n’étaient pas des démocraties mais des dictatures ; elles étaient très impopulaires dans les pays concernés ; et elles n’étaient pas toutes en Europe de l’Est, mais également en Europe Centrale.
Il était important pour les intellectuels de ces pays, en particulier pour les Tchèques, pour l’écrivain, Milan Kundera, qui vit en exil à Paris depuis 1975, pour Vaclav Havel, pour tous ces écrivains, il était très important d’affirmer la présence de l’Europe Centrale et non celle de l’Europe de l’Est.
L’Europe de L’Est, c’est la Russie. Eux affirmaient qu’ils appartenaient culturellement à l’Occident.
Kundera écrit :
« La tragédie de l’Europe Centrale c’est d’être culturellement à l’Ouest, politiquement à l’Est, géographiquement au centre. » (Article publié dans la revue « Débats » en 1983.)
Pour les Tchèques en exil, cette formule résumait leur dilemme principal. Ce que Kundera appelait « la tragédie de l’Europe Centrale » n’a plus de raison d’être. Une page douloureuse pour eux est tournée.
Le Printemps de Prague, soulève un immense espoir, non seulement pour eux mais pour beaucoup d’Européens.
1968 a été une année agitée sur le plan international, y compris à Paris. Mais Prague a gardé, au-delà des vicissitudes politiques, un immense capital de sympathie. Les Européens dans leur ensemble, ceux de l’Est comme ceux de l’Ouest, pensaient, même sans connaître de près les évènements qui se déroulaient là-bas, qu’il s’agissait d’une tentative dont l’importance dépassait le pays lui-même, avec à sa tête, non pas une personne qui ne pensait qu’à donner des ordres, mais quelqu’un qui savait ouvrir le dialogue.
Alexandre Dubcek est arrivé au pouvoir le 5 janvier 1968 et sa première décision a été l’abolition de la censure. C’est un bon début. On respire. Cela ouvre la possibilité de s’exprimer, de voyager, de constituer des associations... Bien que cette décision ne permit pas le pluralisme de partis, il y eut, cependant, un relatif pluralisme au sein du parti tout en restant socialiste.
LES RÉFORMES ECONOMIQUES
Sur le plan économique, la propriété étatique est conservée dans les grandes entreprises nationalisées, mais la propriété privée est tolérée dans les services, le commerce ; on peut introduire le mécanisme des marchés. L’idée est de parvenir à combiner les effets du marché tout en conservant un secteur public important.
Un économiste tchèque qui fut le père de la réforme du Printemps de Prague, avait écrit un livre, « La Troisième Voie » (ce n’est pas celle qu’emprunte Tony Blair, aujourd’hui). Ce livre évoquait le rejet du socialisme sous l’obédience soviétique, avec étatisation totale, planification rigide et capitalisme occidental d’autre part. Il cherchait une troisième voie susceptible de concilier le mécanisme du marché avec plus de justice sociale et un certain nombre de principes socialistes. Tout cela n’a pu être mis en œuvre et on ignore si l’expérience était viable.
Ce modèle proposé suscita beaucoup de critiques. Le Printemps de Prague était très sympathique, mais reposait sur une illusion en raison de l’introduction du pluralisme dans un système où le Parti Communiste restait au pouvoir. Tôt ou tard, la question se serait posé de savoir si l’on passe à un régime pluri-partis ou à la démocratie.
Tolérera-t-on la présence du marché à la périphérie de l’économie ? Organisera-t-on une véritable économie de marché ? Ces grandes questions, ces grands enjeux auraient été posés tôt ou tard.
Le Printemps de Prague a été trop court pour permettre de porter un jugement définitif sur ses effets. Certaines de ses contradictions auraient été difficiles à gérer. Néanmoins cette période suscita un énorme espoir à l’Est. Beaucoup pensaient que la réussite de cette tentative engagerait d’autres pays à évoluer dans le même sens.
Mais le régime communiste soviétique pouvait-il accepter de se transformer, de s’adapter ? Beaucoup espéraient que la page de la terreur, de la guerre froide était définitivement tournée. On parlait beaucoup de construire des ponts entre l’Est et l’Ouest. C’était aussi l’époque du dialogue entre Chrétiens et Marxistes.
Toutes sortes de projets d’autonomie des pays d’Europe Centrale par rapport à Moscou virent le jour. Mais tous ces plans impliquaient que les pays restent membres du Pacte de Varsovie. Dubcek était persuadé que les Soviétiques comprendraient que rendre le système socialiste plus démocratique était à terme un avantage pour eux.
Mais Brejnev, après l’occupation du pays, lorsqu’il eut kidnappé la direction du Printemps de Prague et l’ait fait ramener, manu militari, à Moscou, engagea le dialogue avec Dubcek.
Les propos ont été publiés dans un livre écrit par un membre du bureau politique qui l’accompagnait
« Vous ne comprenez pas la portée de l’expérience du Printemps de Prague. Vous étiez détestés, haïs… et l’idée socialiste se trouve réhabilitée grâce à cette démonstration. Vous ne comprenez pas que cela peut devenir quelque chose d’important pour l’Europe entière. » a déclaré Dubcek.
Brejnev lui a répondu :
« Ce que vous racontez ne nous intéresse pas. C’est le pouvoir qui nous intéresse. Et le contrôle. Nous avons conquis la moitié de l’Europe, au lendemain de la guerre, nous n’allons pas brader cette Europe au prix de la Démocratie et au nom d’un Socialisme à visage humain. »
C‘était la rencontre de deux visions incompatibles, de deux cultures, de deux univers inconciliables, même si chacun d’entre eux se référait à l’idée de Socialisme.
La suite est connue : l’échec du Printemps de Prague, l’occupation soviétique, les vingt années de normalisation. L’écrasement a été tragique pour les Tchèques.
Ce fut aussi un événement lourd pour l’Europe, en particulier pour les pays de l’Est et du Centre. .. Une catastrophe pour les Tchèques ; leur pays a été anéanti par les Nazis, puis, une deuxième fois en 1948 par le système stalinien, et une troisième fois par la « normalisation ».
L’Université, a été totalement décimée, des disciplines entières ont disparu. Les historiens (145) ont été chassés de leurs emplois ; on en a fait des balayeurs, des laveurs de carreaux. Les deux tiers des journalistes ont été renvoyés. Il faut imaginer qu’un demi-million de membres du Parti Communiste Tchèque ont été exclus, tous les partisans de Dubcek. On pouvait se dire que ce n’était pas grave … que cela ne concernait que des communistes… , mais en fait, l’épuration s’est étendue à des pans entiers de la société, de la vie économique et intellectuelle du pays.
C’était la fin d’un espoir.
Le système semblait irréformable ; son idéologie était morte. Plus personne ne s’intéressait aux théories marxistes en Europe de l’Est après 1968. C’était terminé.
Le philosophe polonais, Michel Kolacovsky, a eu cette formule :
« Le marxisme a été écrasé par les chars russes à Prague. »
Le marxisme devint un instrument d’idéologie officielle avec un rituel politique, mais personne ne s’intéressait plus à ce genre d’idées. C’est important pour la suite. Cela signifie que les idées, qui préparent la révolution de 1989, ne sont plus celles du Printemps de Prague. Ce sont des idées de réformes, au nom du socialisme, mais en rupture avec le système. Ces idées mettent l’accent sur la Liberté, les Droits de l’Homme, la Démocratie, etc.…Ce tournant concerne toute l’Europe de l’Est.
LA PERESTROÏKA
Lorsque Gorbatchev arrive au pouvoir, au milieu des années 80, avec des idées de réformes dans le domaine économique, on se dit en Europe Centrale que tout cela sent le réchauffé.
« Nous avons connu ça, il y a vingt ans, nous vous l’avions proposé, mais vous nous avez envoyé les tanks. Vous découvrez qu’il serait souhaitable de réformer votre système qui est paralysé, décomposé, en faillite à cause d’une idéologie moribonde. Nous vous souhaitons bonne chance, mais ne nous présentez pas cela comme une innovation, une grande idée neuve. C’est une idée morte depuis vingt ans et que vous avez écrasée. »
Il y a là comme un chassé-croisé avec Gorbatchev qui reprend les idées de Dubcek, mais dans un contexte différent.
Il n’est plus question de réformer le Communisme, mais bien de rompre avec lui.
La grande différence entre 1968 et 1989 réside là. On n’invoque plus le changement au nom du socialisme, idée revue et corrigée, mais au nom des principes des Droits de l’Homme, de l’Etat de Droit.
Les mouvements des Droits de l’Homme, comme « La Charte 77 » de Vaclav Havel, rassemblaient des personnes d’origines très diverses, politiquement et philosophiquement, mais tous avaient comme dénominateur commun cette référence aux Droits de l’Homme, à la Démocratie, à l’Etat de Droit et à tous les accords internationaux que le régime avait imprudemment signés.
Il est vrai que ce régime avait signé « l’accord d’Helsinki ». Ceci représentait une grande victoire des régimes communistes, puisque cette signature entérinait le statu quo de la division de l’Europe. Or, dans cet accord, étaient inscrites les références à la liberté individuelle, la libre circulation des hommes et des idées. Le Président Brejnev avait été le parrain des accords. Comment, alors, renier un document de référence ?
Pourtant ces signatures semblaient sans importance, jusqu’au jour où un certain nombre de citoyens de ces pays, comme Vaclav Havel et ses amis de la Charte 77 invoquèrent ce fait :
« Vous avez signé la convention internationale sur les droits de l’homme, le premier janvier 1977. Il existe un lien direct entre l’accord d’Helsinki et les droits de l’homme. Alors appliquez les clauses de cette convention de liberté. »
Il y avait là une réflexion sur l’État de Droit.
C’est, alors, une culture politique du Droit qui s’instaure dans le discours de la dissidence, le discours public. Ces orateurs dissidents seront propulsés au pouvoir en 1989. Ils auront cette culture du Droit comme premier élément dans la construction de la nouvelle démocratie. Cette détermination est très importante pour la suite.
Si l’on fait le bilan des pays qui ont réussi leur transition démocratique et des pays qui ont échoué, en particulier dans les Balkans ou dans l’ex- Union Soviétique, la principale différence ne se mesure pas au niveau du développement mais sur la conception de l’État de Droit.
Cette notion avait, en Europe Centrale, un ancrage fort qui remonte à l’époque de l’empire Austro-Hongrois. Cet empire, très décrié après 1918, n’était certes pas une démocratie libérale mais pas davantage une autocratie de type russe. C’était un état de droit.
En lisant la littérature viennoise de la fin du siècle, Max Brod, Robert Musil, Franz Kafka, on constate que ces auteurs sont obsédés par la question du droit, de la légalité, et ce jusqu’à l’absurde.
C’est une question centrale en Bohême et dans l’empire Autrichien, mais qui n’a pas cours dans un régime autocratique ou dans l’empire Ottoman, en Turquie.
Quand on essaie de comprendre pourquoi les notions d’État de droit se sont mieux introduites, au cours des années 90, en Europe Centrale, en République Tchèque particulièrement, mieux qu’en Ukraine ou en Russie, on voit que cela résulte, pour une part, de l’héritage de l’Empire mais aussi de celui de la dissidence, dissidence de l’Europe Centrale tournée vers la question des Droits de l’Homme, au moment où le système allait s’effondrer en 1989.
LA RÉVOLUTION DE VELOURS
La Révolution de Velours à Prague a frappé l’imagination de tous les Européens ; elle a suscité une très grande sympathie, tout comme la chute du mur à Berlin ; et ceci dans un contexte où les systèmes communistes s’effondraient, comme des dominos, les uns après les autres, de la Roumanie à l’Albanie. Et sans doute, en grande partie, grâce à Gorbatchev qui avait renoncé à l’emploi de la force.
C’est, là, le grand mérite de Gorbatchev, même si l’on peut ironiser sur ses illusions de la Perestroïka ; elle a su semer le chaos dans les pays de l’Est, mais on ne peut que lui reconnaître ce mérite.
1989 ne marque pas le retour des anciens du Printemps de Prague. Ce n’est pas Dubcek, qui revient, mais Vaclav Havel. Ce n’est pas l’homme de la réforme, mais bien l’homme de la rupture avec le communisme.
Havel se tourne vers la démocratie, vers l’Occident. Pour lui, la vie est ailleurs, Gorbatchev s’est trompé, mais on ne peut pas ignorer sa contribution aux grands évènements de 1989. Dans le climat de morosité dans lequel nous vivons, nous oublions trop souvent, l’extraordinaire surprise que fut l’année 1989.
Qui aurait pu imaginer, à l’époque, qu’un système, qui avait conquis au lendemain de la guerre la moitié de l’Europe, allait se retirer, s’effondrer et laisser ces peuples en liberté, sans un coup de fusil, sans que l’Occident ait à consentir quelque sacrifice que ce soit. Une sorte de miracle !
Les universitaires doivent être très modestes, car parmi eux personne n’avait prévu cet effondrement. On avait envisagé la décomposition du système, mais personne ne pouvait envisager que cet ensemble structuré disparaisse sans l’emploi de la force. Car les précédents étaient nombreux. Budapest en 56, Prague en 68, le coup d’état du général Jaruzelski en 81, nous rappelaient que chaque fois que le système avait été en danger, l’appareil de sécurité s’était dressé en ultime rempart.
Cette fois-ci il y avait une nouveauté : la victime était consentante.
Aussi, Gorbatchev n’employa pas la force pour mâter la Révolution de Velours. De plus, il y avait une relève. Et ce fût un grand atout pour l’Europe Centrale en général et pour la Tchécoslovaquie en particulier. Relève issue de la dissidence, de l’existence d’un certain nombre de réseaux. Il s’est trouvé des contre-élites prêtes à prendre le pouvoir. Pas au sens de la compétence technique, mais prêtes intellectuellement, prêtes par leurs visions politiques et prêtes par ce qu’elles se trouvaient en phase avec la société. Elles se sont montrées capables de donner et de mettre en forme une orientation à leur pays au moment où tout semblait s’effondrer.
Les Occidentaux n’ont pas mesuré le caractère extraordinaire de cet événement. Ils l’ont banalisé. Ils n’ont pas mesuré la chance qu’a représenté cette révolution.
Pendant un demi-siècle, nous avions été face au Bloc soviétique, avec un problème de sécurité important pour toute l’Europe ; le Bloc soviétique avec le Pacte de Varsovie, et ses armées tournées vers nous.
On découvre, à l’heure actuelle, dans les archives tchèques, certains des plans du Pacte de Varsovie. Ils indiquent que les armées Tchèques avaient pour mission de se diriger vers la France et d'y pénétrer par Belfort.
Chaque pays du Pacte avait sa contribution à apporter dans l’exécution du plan délirant des généraux soviétiques.
Quelle chance pour l’Europe et le monde que cette Révolution de Velours !
LA RÉUNIFICATION
Les pays de l’Europe Centrale ont reconstruit, en quinze ans, une économie de marché.
La République tchèque fut l’un des premiers pays à renouer avec l’Occident, grâce, entre autres, à sa tradition industrielle et au savoir-faire qui n’avait jamais complètement disparu.
Qui ne connaît pas les chaussures Bata ; avant de devenir un empire mondial avec son siège à Toronto, cette marque a été fondée en Moravie. Qui ne connaît pas les usines Skoda ?
Dans de nombreux domaines, il est possible de renouer même si les difficultés sont grandes et les progrès lents.
Le capital d’état ayant disparu, il fallut que les capitaux viennent de l’extérieur, d’Occident, mais non exclusivement d’Allemagne, comme on a tendance à le croire. Ils viennent aussi de France. Notre pays est l’un des premiers investisseurs en République tchèque et il est également très présent en Pologne et en Slovaquie. Peugeot vient de faire un gros investissement en République tchèque.
Les Tchèques ont su fonder des institutions démocratiques qui fonctionnent avec un système d’alternance.
L’alternance est un fait banal, aujourd’hui, et lorsqu’il y a une élection à Prague, cela se résume à un entrefilet dans le journal Le Monde.
Aussi les Tchèques se plaignent-ils : « On ne parle pas de nous à Paris ».
Je leur réponds avec amitié:
« Pas de nouvelle, bonnes nouvelles. Si l’on ne parle pas de vous c’est que tout se passe bien. De quoi a t’on parlé dans les années 90 ? On ne parlait pas des Tchèques, ni des Polonais, on parlait des Balkans. Pourquoi cela ? Parce qu’il y avait une guerre abominable et de terribles menaces pour l’ordre européen. Alors si l’on ne parle pas de vous, c’est que justement s’instaure une sorte de banalisation de la démocratie avec tous ses travers que nous connaissons trop bien, mais sachez qu’ils ne sont pas pires que ceux que nous subissons chez nous ».
Un état a été créé en 1918 par Thomas Masaryk, qui est devenu membre d’une fédération en octobre 1968. Après l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1993, cette fédération s’est dissoute donnant naissance à deux états : la République Tchèque et la Slovaquie.
La principale ombre au tableau de cette transition est l’échec de la conception d’un état multinational.
Masaryk espérait pouvoir construire un état basé sur la citoyenneté, indépendamment des minorités. Il avait inclus dans cette fédération non seulement des Tchèques et des Slovaques mais aussi des minorités allemandes et hongroises. On sait qu’au lendemain de la guerre, les Allemands furent expulsés de Bohême et que les Tchèques et les Slovaques se séparèrent en 1993. Enfin seuls ! pourrait-on dire.
Un rétrécissement qui donne satisfaction à certains, mais qui n’en est pas moins un appauvrissement pour tous. Une des richesses du pays n’était-elle pas l’interaction des cultures slaves et germaniques, de la culture juive importante et un peu à cheval entre les cultures allemandes et tchèques ?
Il est certain que la Slovaquie était plus pauvre que la République Tchèque, qui avait vécu sous la domination viennoise, alors que la Slovaquie était sous celle de la Hongrie. Mais il faut reconnaître que les deux langues sont très proches, les deux peuples sont également proches et ils ont découvert, au lendemain de leur divorce, que les vrais problèmes pour les Tchèques n’étaient pas les Slovaques mais la question allemande, et que le problème des Slovaques ne venait pas des Tchèques mais de la Hongrie et des minorités hongroises. Ces deux peuples retrouvent donc leurs problèmes historiques et géopolitiques anciens.
Aujourd’hui, la Slovaquie a également un gouvernement démocratique qui fonctionne, une économie moins florissante que la Tchécoslovaquie, mais tournée, elle aussi, vers les réformes. C’est le pays qui, aujourd’hui, en Europe Centrale mène les réformes les plus courageuses, y compris dans les domaines que l’on a du mal à affronter en France, le système des retraites, celui de la santé. Le gouvernement Slovaque est en train de conduire ces réformes et il a mis la barre très haut. Il le fait essentiellement pour assurer son entrée dans l’Union Européenne et il veut y parvenir dans un état de compétitivité en rapport avec un environnement européen nouveau.
Donc Tchèques et Slovaques se sont séparés, il y a dix ans, mais de façon non violente, et ils se sont retrouvés.
C’est un fait qui n’est pas sans importance quand on considère la Yougoslavie.
Vous avez là deux ensembles d’états, créés en même temps en 1918, et au nom de la même idée ; Yougoslavie, Tchécoslovaquie, des nations slaves qui s’associent dans un même état.
Pour sa part, la Yougoslavie était multinationale. La Tchécoslovaquie, quant à elle, était essentiellement formée de deux états. Mais la mise en place de ces ensembles procédait de la même idée : des états créés sous le haut patronage de la France. C’était des enfants de Versailles ! Et les disparitions de la Tchécoslovaquie et de la Yougoslavie marquent la fin de l’ordre instauré à Versailles.
Cependant la disparition de la Tchécoslovaquie, s’est produite sans violence et cela pour deux raisons. Tout d’abord, Vaclav Havel n’est pas Milosevic. Il avait déclaré qu’il n’utiliserait pas la force même s’il était opposé à la séparation...
Enfin il n’existait pas de contentieux de frontière en Tchécoslovaquie, comme ce fut le cas en Yougoslavie...
Entre Tchèques et Slovaques existe une frontière vieille de mille ans. D’un côté le royaume de Bohême, de l’autre la couronne de Saint Etienne et le royaume de Hongrie. Ils s’étaient rassemblés en 1918 et se sont séparés en janvier 2003, sans que la frontière ne devienne l’objet d’un contentieux car il n’y avait pas de minorité nationale de l’autre côté de cette frontière. C’est la différence avec le cas yougoslave. Lorsque la Croatie devient indépendante, les Serbes qui vivent en Croatie réclament la création d’une république autonome des Serbes de Croatie avec leur rattachement à la Serbie. En Bosnie, même problème.
Par contre en Tchécoslovaquie, il n’y a pas, de par et d’autre de la frontière, de minorités qui refusent la séparation et demandent leur rattachement à l’état voisin. Des Slovaques habitent en République Tchèque, ils sont environ deux cent cinquante mille, mais ils ne constituent pas une minorité rassemblée près de la frontière ; ils sont répartis dans le pays tout entier et particulièrement à Prague.
Nombre de Tchèques vivent par choix en Slovaquie ; ni les uns ni les autres ne se considèrent comme appartenant à des minorités susceptibles de s’autoproclamer indépendantes et de réclamer la création d’une république indépendante rattachée à un autre état.
En bref : Havel n’est pas Milosevic.
Pas de contentieux de frontières et de minorité réclamant la séparation et le rattachement à un autre état...
La séparation à l’amiable s’est faite de manière pragmatique.
Ces deux états ont connu des itinéraires divergents, au départ, en raison des partis populistes ; mais cette faction a été éliminée en 1998.
En effet, en juillet 1997, l’Union Européenne a fait savoir que, dans l’élargissement, étaient prévues la Pologne, la Hongrie, la République Tchèque, la Slovénie, l’Estonie, mais que la Slovaquie n’était pas sur la liste, et cela, non pas parce qu’elle ne remplissait pas les conditions économiques nécessaires, mais pour des raisons politiques : le régime ne respectant pas l’État de Droit.
Cette annonce a provoqué un choc dans la société slovaque ; elle s’est mobilisée.
Aux élections de septembre 1998, le régime de Vladimir Meciar a été renversé et remplacé par une coalition élue, dont la perspective était l’Union Européenne, l’entrée de la Slovaquie dansl’Union Européenne.
Du reste, cette coalition a renouvelé son succès aux élections de septembre 2002. Elle a poursuivi son action dans une voie très réformiste, mettant les bouchées doubles.
Le résultat est qu’au 1er mai 2004, Tchèques et Slovaques, qui étaient séparés depuis janvier 2003, se retrouveront dans l’Union Européenne.
La frontière qu’ils ont patiemment construite, il y a dix ans, va disparaître. Est ce un divorce pour rien ? Où est-ce que ce divorce a finalement désamorcé des attitudes identitaires et a permis à chacun de suivre sa propre voie pour accéder à l’Europe ?
Les retrouvailles européennes sont de véritables retrouvailles pour les Tchèques comme pour les Slovaques.
Elles le sont aussi pour tous les pays de l’Est de l’Europe, même si le climat d’aujourd’hui est morose et que l’on a tendance à oublier ce qu’a été le monde avant 1989, ce qu’a été l’année « miraculeuse » de 1989. Il ne faut pas considérer comme un fait banal l’élargissement de l’Union Européenne à ces pays.
Ce n’est rien moins que la Réunification de l’Europe.
Extraits de la bibliographie de Jacques Rupnik :
- 1968, le printemps tchécoslovaque (Ed. Complexe)
Préface de Vaclav Havel
- Les Balkans, paysage après la bataille (Ed. Complexe)
- Le déchirement des nations (Ed. Le Seuil)
- Le nouveau continent : plaidoyer pour une Europe renaissante
avec Dominique Moïsi
Attention : Cette conférence ne doit pas être reproduite sans autorisation de l'auteur