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Le Royaume Uni : une démocratie face à ses mutations

Le mardi 6 décembre 2005

par John HACKETT
Docteur d’État es Sciences Économiques
Diplomé de la London School of Economics

En faisant le choix du titre de mon sujet de ce soir, " Le Royaume Uni : une démocratie face à ses mutations ", il m’a semblé que la contribution, modeste mais utile – du moins je l’espère – que je pouvais apporter dans cette série de conférences sur le thème de la démocratie serait, certes, de vous parler du processus historique au cours duquel le Royaume Uni est devenu une démocratie, mais aussi, et peut-être surtout, d’attirer votre attention sur les changements que subissent aujourd’hui les institutions de la démocratie au Royaume Uni, aussi bien que leur mode de fonctionnement.

Ces changements peuvent fournir matière à réflexion, plus généralement à tous ceux qui sont soucieux de maintenir nos systèmes démocratiques dans un monde où la démocratie doit faire face à des pressions qui ne lui sont pas toutes favorables, loin de là.

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Dans le titre de mon exposé, j’ai employé le mot " mutations ". C’était à dessein.

J’y ai été encouragé par la lecture d’un ouvrage de synthèse sur la vie politique au Royaume Uni qui fait autorité depuis plus de vingt ans, " Contemporary British Politics " par Coxall, Leach et Robins.

Ces auteurs ont expliqué en exergue à la quatrième édition de leur ouvrage, paru en 2003, pourquoi ils avaient été amenés à en réviser massivement la structure.

La raison en est – et je les cite – " pour rendre compte des modifications dramatiques intervenues dans la vie politique du Royaume Uni depuis la 3ème édition de notre livre. En effet, le fonctionnement du système de gouvernement a été remanié de façon radicale dû, en grande partie, au programme de réformes constitutionnelles du " New Labour ".

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Le Royaume Uni

Je suivrai l’exemple de ces auteurs, dans la suite de mon exposé, en employant, moi aussi, le terme " New Labour ". C’est d’ailleurs ce titre que l’ancien Parti Travailliste emploie aujourd’hui, avec le nouveau logo de la rose rouge à la place des outils d’ouvriers – c’est déjà tout un symbole. Le Parti Travailliste a connu sa " traversée du désert " entre 1974 et 1997 quand il a perdu quatre élections d’affilée.

Donc, quand, en 1997, " New Labour " a gagné les élections avec une majorité écrasante à la Chambre des Communes et sous la conduite de Tony Blair, c’était un parti profondément remanié après une longue période dans l’opposition.

Aujourd’hui, depuis sa dernière victoire électorale, " New Labour " entame son troisième mandat sous la conduite de Tony Blair, fait inédit pour les travaillistes.

Il est vrai que la majorité de " New Labour " en termes de sièges à la Chambre des Communes, qui était de 167 députés, a été réduite à 67 en mai 2005. Elle reste néanmoins tout à fait suffisante pour gouverner. " New Labour " détient, d’ailleurs, 356 sièges, et le parti conservateur uniquement 197 sièges.

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Chambre des Communes

Il est exact que seulement 60% des électeurs ont pris la peine de voter. Il est également exact que, sur le total des votants, si " New Labour " en a obtenu 36%, les conservateurs en ont obtenu 34%, avec 22% pour les Libéraux Démocrates (le parti centriste).

Cette disparité entre votes et sièges obtenus n’est pas un phénomène nouveau au Royaume Uni. Mais c’est une situation qui devient de moins en moins défendable.

En attendant, pourquoi pas un quatrième mandat pour " New Labour " ? On commence à y rêver, et même plus, à y songer sérieusement.
Mais ce sera sans Tony Blair, qui a annoncé qu’il ne briguera pas un quatrième mandat en tant que chef du parti. Après tout, cela pourrait attendre 2010 si nécessaire.

I – Le pivot de la vie politique au Royaume Uni est le Premier Ministre. C’est une situation radicalement différente de celle de la France. J’y consacrerai donc la première partie de mon exposé.

II – Mais c’est à Westminster avec ses deux chambres, les communes et les lords, que l’on pense quand on évoque la démocratie au Royaume Uni. " La souveraineté du parlement " - expression consacrée – est, de l’avis de tous les juristes, la caractéristique dominante de la constitution britannique au sein d’une monarchie constitutionnelle où le souverain règne, mais ne gouverne pas. Selon cette théorie, aucune autre initiative ne peut mettre en question la compétence du parlement et les courts de justice sont tenues d’appliquer les lois votées par lui.

Voilà pour la théorie. La pratique a sensiblement modifié les choses, comme nous le verrons en deuxième partie.

III – Le Royaume Uni n’est devenu une réalité juridique qu’en 1801, l’année de l’Acte de l’Union avec l’Irlande (ou plus exactement le Royaume Uni de la Grande-Bretagne et de l’Irlande du Nord). Avec l’indépendance de la République d’Irlande en 1922, le Royaume Uni ne comprend déjà que les six contés de l’Irlande du Nord.L’Écosse, quant à elle, était un royaume indépendant jusqu’à l’accession de son roi, Jacques IV, au trône de l’Angleterre, sous le nom de Jacques Ier, en 1603.

Depuis l’arrivée au pouvoir du " New Labour " en 1997, une très importante législation a mis en œuvre une politique de dévolution d’où sont sorties, notamment, des assemblées élues pour l’Irlande du Nord, l’Écosse et le Pays de Galles avec leurs " First Ministers ", et des cabinets de ministres.

Dévolution " est le terme employé dans les textes juridiques. " Dévolution " implique un transfert du pouvoir – y compris, dans certains cas, du pouvoir législatif – qui va au-delà de la simple décentralisation administrative, comme en France, mais qui reste en deçà d’un système fédéral proprement dit.

Dans une dernière partie, nous verrons que – au stade actuel – la politique de dévolution reste inachevée et que son avenir demeure incertain.

I

La fonction de Premier Ministre aujourd’hui, tant que celui qui l’exerce commande une majorité solide à la Chambre des Communes, représente une formidable concentration des pouvoirs entre les mains d’un seul homme.
Le Premier Ministre est responsable de la formation du gouvernement dont il dirige et oriente les travaux.
Le Premier Ministre doit être un élu de la Chambre des Communes. Dans la politique d’aujourd’hui, il n’est plus possible pour le Premier Ministre – encore que rien ne s’y oppose formellement – d’appartenir à la Chambre des Pairs.
De même, les ministres – et le gouvernement comprend facilement 100 personnes – doivent être choisis parmi les députés appartenant à la majorité de la Chambre des Communes.
Ceci est un inconvénient quand, au fur et à mesure que la même majorité reste au pouvoir et que les remaniements et les démissions se succèdent, le choix de nouveaux membres du gouvernement se rétrécit pour le Premier Ministre. Celui-ci ne peut chercher des talents en dehors des élus. Le Premier Ministre doit y suppléer lui-même autant qu’il le peut.

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Tony Blair

Essayons d’énumérer d’autres tâches pour lesquelles le Premier Ministre est seul responsable.
Ainsi, il surveille la fonction publique et les nominations aux postes clés. Et encore ne devrait-on pas employer le terme " fonction publique " puisque tous les fonctionnaires sont les serviteurs de Sa Majesté. À un moment donné, cette précision avait plus d’importance puisque la couronne ne pouvait être poursuivie devant les tribunaux, notamment pour dommages et intérêts. Aujourd’hui, la couronne l’accepte.

C’est le Premier Ministre qui décide de la dissolution du Parlement et de la date des élections. Il représente son pays sur le plan international. Il signe les traités. Il reçoit les autres chefs d’États et de gouvernements.
Il peut même déclarer la guerre. Mais Tony Blair, pour la guerre en Irak, a pris la précaution d’exiger un vote de la Chambre des Communes.
C’est aussi le Premier Ministre qui exerce un choix déterminant pour anoblir des personnalités –politiques pour la plupart – qui siégeront à la Chambre des Lords selon une formule qu’on appelle les " life pears ", c’est-à-dire des titres qui ne sont pas héréditaires.

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Chambre des Lords

Cette énumération des pouvoirs dont dispose le Premier Ministre moderne au Royaume Uni n’est pas nécessairement exhaustive. Mais alors, direz-vous, où trouve-t-on une telle énumération ?
La réponse est qu’elle n’existe pas car, comme on se plaît à le rappeler, le Royaume Uni n’a pas de constitution écrite.
Je pense qu’il est plus exact de dire que le Royaume Uni n’a pas une constitution " codifiée ", où tous les textes seraient réunis dans un seul document. Ce jour viendra peut-être, et plus vite qu’on le pense, comme nous le verrons au sujet de la dévolution.

Des éléments d’un tel document se trouveraient déjà dans certaines lois concernant, par exemple, le système électoral ou les pouvoirs et la composition de la Chambre des Pairs. Certains principes juridiques, consacrés par la pratique des cours de justice – la " Common Law " - en fourniraient également des éléments concernant, par exemple, les prérogatives de la couronne exercées aujourd’hui par le Premier Ministre.
Les pratiques traditionnelles des deux chambres ainsi que les avis d’autorités juridiques reconnues comme Walter Bagehot dans son livre " The British Constitution "(1867) que l’on cite encore, et le Professeur Dicey dans " The Law of the Constitution ", et d’autres encore.
Plus récemment, les activités de l’Union Européenne ont donné lieu à des textes qui ont force de loi au Royaume Uni dans les cours de justice.

Pour l’instant, il subsiste donc un certain flou sur toutes ces questions constitutionnelles. En attendant, les pouvoirs du Premier Ministre lui permettent, si les circonstances de la majorité à la Chambre le permettent, de pratiquer ce que les observateurs ont appelé, " un style présidentiel ". C’était le cas de Mrs Thatcher et également de Tony Blair.

Ainsi, vis-à-vis du Parlement par exemple, quand on a décidé de retarder d’un mois la date des législatives en 2000, Tony Blair l’a dit d’abord à la BBC, et seulement ensuite au Parlement.

Le phénomène a été très largement commenté. Mais, pour le Premier Ministre, les médias, et notamment la télévision, sont devenus souvent plus importants que les débats au Parlement. En même temps, beaucoup de titres de la presse sont devenus la propriété de personnalités qui ne cachent pas leurs préférences politiques.
A lui seul, le groupe Murdoch contrôle 35% du marché de la presse quotidienne. Murdoch contrôle aussi le géant de la télévision par satellite, BskyB. 
De son côté, le gouvernement adapte ses méthodes de communication en créant le " Spin ", ce poison pour la vie politique. Et pas seulement au Royaume Uni, bien entendu.

En arrivant au 10 Downing Street en 1997, Tony Blair y a amené son porte-parole personnel - Alastair Campbell -, " le maître du Spin ", disait-on.

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Alastair Campbell

Le " Speaker " de la Chambre des Communes – son président députée travailliste, Betty Boothroyd, a déploré cette situation lors du premier mandat du " New Labour ".
Le prestige de la Chambre a été dévalué et je le déplore profondément, car mon souhait avait été de voir les Communes devenir le centre du débat démocratique dans ce pays au lieu de devenir l’annexe du programme " Today " (l’émission politique de la BBC) ", a-t-elle déclaré.

Mais, comme toutes les personnalités politiques le savent, une minute à l’heure de grande écoute à la télévision vaut tous les discours à la Chambre.

II

Revenons donc à Westminster, " la mère des parlements ", comme on aime encore l’appeler.
La persistance d’un niveau élevé d’abstention aux élections législatives a continué à préoccuper le " New Labour ". Plus que les anomalies persistantes dans le système électoral uninominal à un tour, comme nous l’avons constaté.

Pour réduire l’importance des abstentions, il a été imaginé de faciliter le vote par correspondance. En effet, un système très souple a été mis en place et il a séduit beaucoup de gens. Néanmoins, en contrepartie, sa souplesse a eu comme résultat de créer beaucoup de doutes légitimes sur la validité des votes exprimés.L’Organisation pour la Coopération et la Sécurité en Europe, dont le Royaume Uni fait partie (ainsi que la France d’ailleurs) a étudié le fonctionnement du système mis en place par " New Labour ", et ses conclusions ont été plutôt sévères.

Il est donc peu probable que le système de vote par correspondance pourra continuer à fonctionner tel quel. Récemment, le Ministre de l’Intérieur (Home Office) a lancé comme ballon d’essai l’idée du vote obligatoire (comme en Australie, paraît-il).

Mais l’autre problème, d’une nature toute différente, demeure : les divergences trop voyantes entre le nombre de votes reçus par chaque formation politique et le nombre de sièges gagnés.

C’est le parti des Démocrates Libéraux qui s’est fait le champion d’une dose de proportionnalité dans le système électoral. Et ceci pour des raisons évidentes : c’est lui qui est le plus lésé par le système actuel.

Rappelons les caractéristiques de ce système Uninominal à un tour : il suffit d’une voix de plus pour être élu et d’une majorité des voix.

Les deux grandes formations, conservateurs et travaillistes, ont toujours été beaucoup plus réticentes – pour des raisons tout aussi évidentes – pour réformer ce système.

Ainsi - comme nous le verrons tout à l’heure au sujet de la dévolution avec les assemblées en Écosse et au Pays de Galles – quand un système de votation à la proportionnelle a été introduit pour leurs élections, " New Labour " a dû former des coalitions avec les Démocrates Libéraux afin de trouver des majorités pour gouverner.
Néanmoins, " New Labour " a fait un geste de bonne volonté envers ceux qui souhaitaient une réforme pour la Chambre des Communes.

En 1998, une commission a été créée pour étudier la question d’une réforme, commission présidée par Roy Jenkins – devenu Lord Jenkins – autrefois n°2 du Parti Travailliste. La Commission a proposé l’adaptation d’un système proportionnel – assez complexe, il est vrai – qu’on appelle " le vote alternatif ".

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Lord Jenkins

Selon ce système, les votants rangent leurs choix par ordre de préférence. Les candidats avec le plus petit nombre des premiers choix sont éliminés, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’un seul gagnant émerge.

Ce système s’appliquerait dans 80% des circonscriptions. Pour les 20% restant, le scrutin de liste serait appliqué.

Quel que soit le sérieux des travaux de la Commission Jenkins, il est triste de constater que son rapport a été rangé soigneusement mais que la question d’une réponse électorale pour les élections à la Chambre des Communes ne semble plus prioritaire.

Une autre grande question sur les institutions de Westminster se pose : que faire de la Chambre Haute (les Lords) ? Là, " New labour " n’a pas perdu de temps.
Quand le Parti Travailliste est revenu au pouvoir en 1997, la situation constitutionnelle à Westminster entre la Chambre des Communes et la Chambre des Pairs pouvait se résumer de la manière suivante.

Le vrai pouvoir législatif restait à la Chambre des Communes. Il ne pouvait y avoir de doutes à ce sujet.
Déjà, les Lords n’avaient pas le droit de retarder l’adoption de lois relatives au budget de l’État. Quant aux autres projets de lois, la Chambre des Pairs était saisie et pouvait proposer des amendements. Mais, soit les Communes acceptaient ces derniers, soit ils les rejetaient. Dans ce dernier cas, les Lords ne pouvaient plus s’y opposer.

Depuis longtemps, la gauche et le centre (c’est-à-dire le parti des Démocrates Libéraux) ont réclamé une réforme de la Chambre des Pairs. Elle figurait de nouveau dans le manifeste électoral du " New Labour " en 1997. 
Et la première étape de la réforme a été accomplie pendant leur premier mandant, mais de façon assez confuse. 
En tout cas, la situation présente ne peut perdurer.
Ainsi, les pairs héréditaires –dont peu avaient l’habitude de siéger – ont perdu leurs droits de participer dorénavant aux débats. Mais, au lieu d’une décision nette dans ce sens, il a été décidé, après de longues discussions, que les pairs héréditaires pourraient (du moins pour le moment) garder 92 membres qu’ils choisiraient parmi leurs rangs.

Quant au contingent restant des " life pears ", ceux dont les titres n’étaient pas héréditaires, il y en a 525, et on en a créé pour cela.

Le Premier Ministre a le privilège de nommer un pair du Royaume, homme ou femme. Il peut le faire – et c’est déjà arrivé – pour faire entrer dans le gouvernement quelqu’un qui ne siège pas à la Chambre des Communes.

Mais il y a surtout la pratique traditionnelle qui consiste à récompenser des membres des Communes qui y auraient siégé longtemps, ou qui perdraient leur siège. Pour la plupart, les pairs créés depuis 1997 sont des personnes proches du Parti Travailliste. Tony Blair en a créé près de 300. 
Des " donations " au parti sont récompensées, aussi il est clair qu’un tel système – si on peut l’appeler " système " - ne passe pas la rampe du point de vue d’une démocratie élargie ou améliorée, bien entendu.

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Lord Irvine

Conscient de ceci, le Lord Chancellor, Lord Irvine – qui a le rang de chef du pouvoir judiciaire et qui nomme les juges, mais qui est, en même temps, un membre éminent du New Labour et remplit le rôle de Speaker des Lords – a publié à l’époque (2001) un livre blanc proposant de créer une chambre avec 20% d’élus, le reste étant nommé par les partis politiques. La Chambre des Communes s’est révoltée et a réclamé au moins 60% d’élus.

Nous en sommes là pour l’instant, et la voie que pourra choisir éventuellement le gouvernement n’est pas très claire. On voit d’ailleurs la difficulté qu’il y aurait à définir une catégorie d’électeurs et sur quelle plateforme les candidats se présenteraient. Mais une Chambre des Pairs rénovée avec 20% seulement d’élus ne séduit décidemment pas. Déjà, beaucoup de ceux qui ont été anoblis pour remplir la Chambre n’y sont guère assidus. La romancière P.D. James, auteur de romans policiers, a voté deux fois par exemple.

Une structure unicamérale n’a guère de soutien toutefois ni parmi la classe politique, ni dans l’opinion.

En attendant, il est frappant de constater que la qualité des débats à la Chambre de Pairs sur les textes législatifs est d’un haut niveau, reconnu par tous, surtout quand il s’agit de textes un peu trop hâtivement proposés et trop politisés.

Nous n’en avons néanmoins pas fini avec la Chambre des Pairs car celle-ci garde un rôle éminent comme cour suprême d’appel judiciaire. Seuls participent alors aux débats les " Law Lords " - d’anciens juges pour la plupart – au nombre de 27 (il y a une femme maintenant).

Le fait que la Chambre des Pairs contribue donc à l’élaboration de la législation et, éventuellement, juge de son application, représente une confusion des fonctions qui, dans d’autres pays, seraient confiées à une Cour Suprême.

" New Labour " tend vers une telle solution. Ainsi, en 2003, Tony Blair a annoncé qu’il abolirait le poste de Lord Chancellor – qui préside aux débats des " Law Lords ". Il serait remplacé par un Secrétaire d’État – c’est-à-dire avec un rang ministériel – pour les affaires constitutionnelles (à définir !!). Éventuellement, les " Law Lords " siégeraient dans une instance particulière qui deviendrait une Cour Suprême (le terme a été employé).

Cependant, pour le moment, le Lord Chancellor – actuellement Lord Falkner – et les " Law Lords " continuent à travailler comme avant, et la réforme envisagée n’a pas eu de suites.

Et, d’une manière plutôt inattendue, les pouvoirs de la Chambre des Pairs, siégeant comme cour d’appel suprême, ont été accrus.

Ainsi, " New Labour ", comme il l’avait promis, a fait voter en 1998 une loi sur les Droits de l’Homme (le " Human Rights Act ") qui incorpore la Convention Européenne sur les Droits de l’Homme dans le droit anglais.

Cette convention, déjà ratifiée en 1951, ne permettait pas jusque là à un citoyen britannique de faire appel devant un tribunal britannique arguant de ses droits en vertu de cette convention. De même, une décision par la Cour Européenne à Strasbourg ne pouvait avoir force de loi au Royaume Uni.

Depuis 1998 et le vote du " Human Rights Act ", la situation a changé radicalement. Dorénavant, un citoyen britannique n’a plus besoin d’aller à Strasbourg. Un juge anglais peut entendre son appel, et les " Law Lords " ont maintenant le pouvoir de déclarer qu’une loi anglaise est " incompatible " avec la Convention Européenne.

Donc, en théorie, grâce au terme " incompatible ", le principe de la souveraineté du Parlement est préservé. Mais en théorie seulement. Les " Law Lords " avaient déjà fait remarquer que le vote du " Human Rights Act " allait créer une nouvelle situation dans laquelle les " Law Lords " pourraient être amenés à prendre position sur des questions de libertés politiques très controversées.

Nous en avons l’exemple aujourd’hui avec le difficile passage devant le Parlement des textes présentés par le gouvernement dans le but de renforcer la panoplie des mesures destinées à lutter contre le terrorisme.

III

L’action du " New Labour " en faveur de la dévolution de certains des pouvoirs du Parlement – et la manière dont cette dévolution est mise en pratique – soulèvent aussi des questions de fond concernant le fonctionnement de la démocratie au Royaume Uni.

Ces questions sont, elles aussi, restées sans réponses claires et s’ajoutent aux autres dont j’ai déjà fait mention.

Le Royaume Uni est-il toujours aujourd’hui un état unitaire ? Et, le processus de dévolution initiée par le " New Labour " est-il arrivé à son terme ?

Voilà des questions que l’on est en droit de se poser aujourd’hui.

Elles sont nouvelles. Leurs conséquences peuvent être profondes. Tout à l’heure, j’ai rappelé brièvement le processus historique de la formation de ce que nous appelons aujourd’hui le Royaume Uni. À l’heure actuelle, trois régions se distinguent – de l’Angleterre proprement dite - de par leurs structures politiques.
À savoir :
- l’Irlande du Nord
- l’Écosse
- le Pays de Galles

Vis-à-vis de chacune de ces trois régions, le " New Labour " a introduit depuis 1997 des réformes profondes qui modifient de façon substantielle leurs relations avec le Parlement de Westminster et les administrations centrales.

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Prenons d’abord le cas des six comtés de l’Irlande du Nord. C’est une histoire tragique qui remonte au moins au XVIème siècle. Depuis quelques semaines, l’annonce tant attendue - et qui a déjà trop tardé – de l’IRA, la branche armée de la résistance à la souveraineté de Londres sur les 6 comtés, disant qu’elle renoncerait à la révolte armée et déclarerait ses stocks d’armes, cette annonce ouvre peut-être la porte à un règlement.

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IRA

L’Irlande a toujours été la partie la moins intégrée du Royaume Uni. L’Union, décrétée en 1801, n’a rien réglé. Après plus d’un siècle de troubles, la République d’Irlande a vu le jour en 1922. Mais c’est seulement en 1999 que l’extension de son territoire, pour englober les 6 comtés d’Ulster, a été supprimée de la Constitution de la République.
Il existe deux minorités en Irlande du Nord : la minorité catholique qui craint la majorité protestante. Cette dernière redoute d’être minoritaire à son tour si, un jour, le Nord est réuni au Sud de l’île.

Là-bas, la vie politique n’a pas les mêmes thèmes ni les mêmes héros de part et d’autre. Les partis anglais – New Labour, Conservateurs et Démocrates – ne s’aventurent pas sur ce territoire miné. Les programmes et les allégeances des multiples partis qui occupent la scène politique en Irlande du Nord ne se prêtent à aucun classement rationnel.
Néanmoins, la victoire du " New Labour " a permis, sur les discussions déjà entamées par le gouvernement conservateur sous la direction de John Major, un nouveau départ, et la signature de ce que l’on appelle les " Accords du Vendredi Saint 1998 ". Soumis aux référendums dans le Nord et la République d’Irlande, l’accord a pris la forme d’un traité international, souscrit par les deux gouvernements de Londres et de Dublin.
Une assemblée devait être élue en Irlande du Nord par un système proportionnel. Les partis représentés à l’Assemblée devaient élire un " First Minister ", son adjoint et un conseil de dix ministres.

L’annonce de l’IRA est encore trop récente pour que l’on puisse juger de ses effets. La plupart des observateurs estime toutefois que le status quo va inévitablement évoluer, soit vers une union de facto entre les six comtés du Nord et la République d’Irlande, soit vers une situation franchement fédéraliste avec des transferts de souveraineté consentis par Londres.

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Ecosse

L’évolution de la situation en Irlande du Nord a certainement favorisé des concessions par Londres en faveur de l’Écosse. Avant l’union avec l’Angleterre, l’Écosse était un pays indépendant avec sa propre dynastie. L’union des deux couronnes en 1603 n’est devenue une union des deux pays et de leurs parlements qu’en 1707.

Au XXème siècle, un " Scottish Office ", à Londres, était responsable pour les affaires intéressant l’Écosse qui avait maintenu des systèmes juridique, scolaire et ecclésiastique distincts. Élus au Parlement de Westminster, les députés écossais avaient l’habitude de se réunir dans un Grand Comité pour l’Écosse.

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Scottish Office

Le sentiment nationaliste ne se manifestait pas beaucoup avant les années 1970 du siècle dernier. Après tout, les écossais avaient joué un rôle capital dans la gestion de l’Empire. L’Écosse était un bastion du Parti Travailliste. Beaucoup d’écossais tenaient des rôles de premier plan dans la vie politique de Westminster, y compris d’ailleurs dans le " New Labour ".
Les succès électoraux du Parti Nationaliste Écossais n’ont commencé que récemment à inquiéter le Parti Travailliste.

Quoiqu’il en soit, le Parti Travailliste, au pouvoir entre 1974 et 1979, s’est engagé formellement dans la voie de la dévolution pour l’Écosse. Un référendum, organisé sur ces bases par le Gouvernement Travailliste, a échoué par suite d’un taux d’abstentions trop élevé.
Le gouvernement de Mrs Thatcher était, lui, hostile à l’idée d’une dévolution de fonctions vers l’Écosse. Par une ironie du sort, c’était le projet d’un impôt spécifique sur les électeurs qui a amené une révolte de l’opinion et a précipité la chute de Mrs Thatcher. Les Conservateurs ont perdu la totalité des circonscriptions qu’ils détenaient en Écosse.

Nous en étions là en 1997. " New Labour " s’était fermement engagé dans la voie de la dévolution. À la suite d’un référendum demandant aux Écossais s’ils voulaient un parlement pour leur pays à Edinburgh avec, entre autres pouvoirs, la possibilité de modifier les projets fiscaux de Londres – référendum que Tony Blair a gagné haut la main – l’opposition conservatrice de la Chambre des Députés à Westminster s’est inclinée devant l’inévitable.
Les élections à la nouvelle assemblée écossaise, en mai 1999, ont maintenu pour " New Labour " sa position de parti dominant, mais grâce à la dose de proportionnalité, ne lui ont pas donné une majorité absolue. Le Parti Nationaliste Écossais, favorable à l’indépendance, a gagné près de 30% des sièges. " New Labour " a dû former une administration de coalition avec les Libéraux Démocrates.
Le décès prématuré du premier " First Minister ", des accusations de fraudes, des tensions entre les deux partis de la coalition, ont marqué les premières années. Le " Scottish National Party " a eu du mal à se faire une place. Les Conservateurs ont regagné quelques sièges et se sont résignés à la nouvelle situation. 
La nouvelle politique de dévolution n’a pas encore donné à l’économie écossaise le coup de fouet que beaucoup espéraient. Le taux de croissance demeure nettement inférieur à celui du Sud. Le problème des transports persiste comme un frein au développement. L’indépendance pour la politique fiscale a toujours été une revendication du Parti Nationaliste Écossais qui, récemment, a obtenu un soutien plutôt inattendu du Parti Conservateur.
En attendant, le Parlement Écossais s’est fait construire un magnifique nouveau bâtiment à Edimbourg pour y tenir ses débats.

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Pays de Galles

C’est au Pays de Galles que la politique de dévolution du " New Labour " semble avoir eu les résultats les plus positifs. C’est aussi la région qui a su garder une cohésion culturelle et linguistique contre l’invasion de l’anglais.
" New Labour " ne pouvait pas ne pas accorder le même traitement au Pays de Galles qu’à l’Écosse. Lors du référendum de 1997, la majorité des votes pour le " oui " était faible et ne représentait qu’un sur quatre des inscrits. Les pouvoirs accordés à l’assemblée pour le Pays de Galles (il ne s’agit pas d’un " Parlement " comme pour l’Écosse, mais d’une simple " assemblée ") sont inférieurs à ceux accordés à l’assemblée écossaise : pas d’initiative en matière législative et pas d’autonomie fiscale. 
Aux élections à la nouvelle assemblée à la proportionnelle, " New Labour " n’a pas, là non plus, obtenu la majorité des sièges.
Les débuts hésitants de la nouvelle assemblée, les dissensions entre partis comme à l’intérieur de ceux-ci ne sont pas de bon augure. Et pourtant, sur les plans culturels et économiques, le Pays de Galles offre un contraste avec l’Écosse. Le nombre d’habitants parlant le gaélique augmente – surtout chez les jeunes – pour la première fois depuis un siècle. Le flot d’immigration dépasse aussi la tendance séculaire à l’émigration. La comparaison est plutôt avec la République d’Irlande, de l’autre côté de la mer. Néanmoins, on ne peut démontrer en quoi la politique de dévolution y a contribué.

Reste maintenant ce qu’on appelle, dans une avalanche de publications, " The English Question " (" La question anglaise ").

Est-ce que, comme Coxall, Robins et Leach le disent crûment dans leur ouvrage : " L’Angleterre restera là comme un coucou géant dans le nid de la dévolution ? "
Est-ce que quelqu’un peut encore se dire indifféremment anglais ET britannique ?
Est-ce qu’il n’est pas temps pour les Anglais de redécouvrir pour eux-mêmes une identité et une culture nationale ?
Pour l’instant, " New Labour " n’a pas arrêté sa position sur la création éventuelle d’autres régions avec leurs assemblées propres.

Pourtant, plusieurs questions en attente appellent des réponses. Par exemple, avec la dévolution en Écosse, on se demande quel est le rôle des députés écossais élus à la Chambre des Communes. Si l’Écosse a sa propre assemblée, est-ce qu’il n’y a pas trop de députés élus à Westminster pour des circonscriptions en Écosse ?
Autre problème : les députés écossais à Westminster ne peuvent voter, par exemple, sur une question relevant de l’éducation en Écosse puisque c’est une question dévolue au Parlement Écossais. En même temps, les mêmes députés peuvent participer à des votes concernant l’éducation en Angleterre.
Un chef du Parti Conservateur, William Hague, est allé jusqu’à proposer " des votes anglais pour des lois anglaises ". On pourrait ainsi aboutir à un " English Parliament " distinct. Mais alors, celui-ci, selon l’actuelle répartition de la population, représenterait 85% de la population du Royaume Uni.

L’avenir des arrangements " possibles " dépendra certes des décisions initiées par Londres, mais en partie seulement. Les opinions publiques dans les régions de l’Irlande du Nord, de l’Écosse et du Pays de Galles parleront, notamment au moment des élections.
Puis, il y a l’évolution de l’Union Européenne où le Royaume Uni n’a pas eu à se prononcer – du moins pour l’instant – ni sur un projet de constitution, ni sur l’appartenance à la zone euro.

CONCLUSION

J’hésite à appeler " conclusion " ce que l’on peut dire de la situation des institutions de la démocratie au Royaume Uni aujourd’hui.

La situation est trop mouvante. Des processus ont été déclenchés par les initiatives du " New Labour ", et vont maintenant acquérir une vie propre.
Des questions nouvelles ont été soulevées, certaines auxquelles on ne s’attendait pas comme, par exemple, la question d’une vraie codification constitutionnelle.
Le système électoral aussi – que les deux formations politiques dominantes (Travaillistes et Conservateurs) ne sont pas pressées d’aborder.
La situation présente où quatre systèmes se juxtaposent – pour les Communes, pour l’Écosse, le Pays de Galles et l’Irlande du Nord et, finalement, pour les élections européennes – est-elle viable à long terme ?
Enfin, la dévolution pose la question de la place qui sera faite à l’Angleterre – ou ses régions – où résident 85 % de la population.

Un chantier immense de " travaux en cours " serait la meilleure description de la situation actuelle. 
Mais existe-t-il un plan d’ensemble ? On ne le perçoit pas très clairement pour le moment dans les différentes initiatives dont je vous ai parlées.

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