"La robe rouge" Claudine Rey "Je suis ambassadeur. J'ai raté ma vie malgré les apparences. Le faste, les invitations, les privilèges, la richesse et je ne sais quoi encore dont tout homme ambitieux rêve, moi, Monsieur, je m'en moque!
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"Concerto pour un exil" Yves Méheut Je suis ambassadeur ; j'ai raté ma vie. Vingt années d'intrigues effrénées pour décrocher le titre : ambassadeur de France. Au Manuatu certes, mais ambassadeur quand même. Vous ne connaissez pas le Manuatu ? Charmant îlot perdu où singes policés, indigènes madrés, expatriés imbibés et missionnaires désabusés rivalisent de paresse sous le regard fatigué de quelques diplomates déjà contaminés. Comment en suis-je arrivé là ? Bonne question, cher Monsieur, très bonne question. Émergeons des nuées d'alcool pour tenter l'esquisse d'une réponse sensée.
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"Monsieur de Sultana" Martine Amelot "Je suis ambassadeur ; j'ai raté ma vie", fut la seule réponse que donna Monsieur De Sultana, diplomate célèbre, à la secrétaire qui lui demandait les raisons de sa consultation. " Je suis ambassadeur ; j'ai raté ma vie ", telle fut la seule et unique phrase que prononça Monsieur De Sultana, tous les jours, pendant trois semaines, durant ses séances de psychanalyse avec le docteur Xélérini.
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"Marseille" Yaël Bedjaï
Marseille, le 1er avril 2002. Je venais de récupérer la valise sur le filet à bagages quand l'homme au chapeau gris anthracite est entré dans le compartiment. " Vos papiers. Suivez-moi, mademoiselle. " * titres de films à insérer dans la nouvelle ainsi que le règlement le stipulait |
"Traquenard express" Alizée Zian Je venais de récupérer la valise sur le filet à bagages quand l'homme au chapeau gris anthracite est entré dans le compartiment. C'était le troisième train que je prenais et il était encore là. Mais qui était-ce ? nul ne le savait. J'allais descendre en gare de Cadillac mais il me prit par le bras, et me fit signe de me taire. * titres de films à insérer dans la nouvelle ainsi que le règlement le stipulait |
"Hallali" Romain Pichon Je venais de récupérer la valise sur le filet à bagages quand l'homme au chapeau gris anthracite est entré dans le compartiment et s'est posté devant la porte. Films français : Mauvais sang, Leo Carax (1986) Le cri du hibou, Claude Chabrol (1987) La main du diable, Maurice Tourneur (1943) Le salaire de la peur, Henri-Georges Clouzot (1953) La mort qui tue, Louis Feuillade (1913) * titres de films à insérer dans la nouvelle ainsi que le réglement le stipulait |
"Adieu l'ami" Simone Beaumont le Meitour En hommage à Simone, Marie, René Beaumont Le Meitour, écrivain, qui, de par son talent si personnel, avait gagné le 1er prix du Concours de Nouvelles en 2000, le Forum universitaire a souhaité publier "Adieu l'ami".
Premier prix du concours de nouvelles 2000 " De la plume d'oie à la souris, la langue française s'épanouit " Festival de la Langue Française de Boulogne-Billancourt. Comme chaque soir dès son retour, le premier geste de Dominique fut d’allumer l’ordinateur, deux nouveaux messages Serait-ce…? L’ami GRAINE se cassant la tête pour lui expliquer comment faire croître des plants de tomates sur son balcon ? L’ami DEPAIN pour l’inviter à un goûter en tentant de le rouler dans la farine ? Celui là, il s’en méfie, étant-donné que cette vieille croûte le fait marcher à la baguette et l’a déjà mis dans le pétrin. L’ami MOLETTE tournant en rond avant de lui faire tout un fromage en le prenant pour un bleu ? Lequel ? L’ami TONNE qui lui signale qu’elle a mijoté un dîner d’amoureux pour qu’il vienne se mettre à table ? (C’est l’agent féminine). L’ami MOSA qui désire lui faire une fleur en allant lui faire cuire un œuf ? L’ami DINETTE pour l’inviter à un mini repas un midi ? L’ami CARÊME qui tombe le masque dans le but de le faire jeûner ? L’ami RONTON pour faire un bœuf ? L’ami TSOUKO et l’ami REILLE qui, de concert, se seraient mis dans la tête de le faire chanter ? L’ami NETTE pour participer à ses propres chatteries ? L’ami STIGRI pour faire une partie de carte à la mi-août ? L’ami LLION pour lui rugir ses richesses ? L’ami GALE qui aimerait se faire une toile boutonneuse ? L’ami ELLEUSE, fine guêpe, qui veut butiner malgré qu’elle ait le bourdon ? L’ami CROBE, avorton qui vient me baciller avec le dernier virus qu’elle a récolté dieu ne sait où ? L’ami COSE (cause) qui ne parle que de ses maladies de peau ou de potes ? L’ami TRAILLE lui menant une guerre d’enfer pour pouvoir photographier ses démons ? L’ami LITAIRE qui rêve de le mettre au pas ? Avec l’ami BIDASSE on ne se quitte jamais. L’ami SSILE pour lui lancer une fusée d’œillades ? L’ami RETTE pour lui faire de l’œil ? Ma petite, cette fois ce serait œil pour œil dent pour dent ! ! ! L’ami CRO (croc) qui a toujours la dent et se fait toute petite pour qu’il l’invite pour le déjeuner ? L’ami CROSCOPE qui souhaite qu’il le conseille sur un régime amaigrissant ? L’ami RADOR qui aimerait l’observer de son regard hautain ? L’ami RAGE en colère qui se fait des illusions ? L’ami QUETE (miquette) qui craindrait de lui réclamer de l’argent ? L’ami SSEL qui aimerait qu’il se poivre religieusement ? L’ami NARET et l’ami STIQUE(mystique) qui souhaitent l’entraîner dans un séminaire ? L’ami SSIONNAIRE qui lui enseigne sa position ? L’ami DON qui, comme il est très raide, lui fait cadeau de sa personne. L’ami SSISSIPI pour éditer un roman fleuve ? L’ami SSOURIS (souris) qui grignote l’ordinateur en faisant risette ? L’ami LAN (lent) qui l’emmènera se traîner en Italie ? L’ami GRATEUR (gratteur) qui lui aurait trouvé du travail à l’étranger ? L’ami NOIR qui voudrait le mettre à rude épreuve en Afrique ? L’ami STRAL qui aurait eu vent de son voyage aux îles d’or ? L’ami AMI qui rêve d’une grande plage avec lui ? L’ami TSUBISHI qui va lui faire essayer son bolide ? L’ami NERVE qui rêve de lui masser le cou en toute sagesse ? L’ami NERVOIS pour le coup de l’étrier ? L’ami DI qui lui lance des pics ? Elle n’était pas laide Lady,… dit ? L’ami RACLE pour gratter dans sa cour ? L’ami TEMPS pour faire une pose ? L’ami RABEAU pour ne pas rester de bois devant le Tiers-État ? L’ami TAINE qui prend des gants, faisant des pieds et des mains pour le séduire ; pour en finalité dire pouce ? L’ami ROIR qui n’a pas réfléchi et qui est resté de glace devant les alouettes sans têtes du dîner ? L’ami TOYEN sans doute pour faire le mur ? L’ami STERE (mystère) qui va enfin lui déboiser son secret ? L’ami NOIS (noye) qui, avec son visage d’ange, voudrait l’immerger ? L’ami KADO (cadeau) qui lui offre un jeu japonais ? L’ami TOSYL qui laissera l’effet se faire (les fesses faire) ? L’ami XOMATOSE qui désire qu’il l’appelle « mon lapin » ? L’ami OCHE (Hoche) qui, comme en général, va faire l’enfant ? L’ami NESTRONE qui, bien qu’encore dans le potage, laisse un message bien trempé ? L’ami ROBOLANTE qui lui propose d’aller jouer sur le champ pour empocher Des gains mirifiques ? L’ami PIERRE (oh !) pour que je lui décroche la lune ? L’ami CHELE (mère) qui cherche joyeusement son chat dans la rue du même nom ? L’ami XITE pour lui en faire voir de toutes les couleurs ? L’ami NUTERIE qui, bien que n’étant pas une lumière, souhaite le brancher ? L’ami LLE PATTE pour l’aider à trouver chaussure à son pied ? Dominique, qui a maintenant atteint un bon demi-siècle, doit stopper là, la mythomanie pour chausser ses lunettes « Allons-y l’ami souris » Premier message : « Viens sans faute à l’amicale de la mission, nous ne toucherons pas à la vache folle.» L’ami STEAK ( la mistake) Second message : « N’y allez pas, c’est un sale ami qui va vous saucissonner et ça sera pour vos pieds.» L’ami SFIT ( la miss feet). En souvenir de Simone Beaumont le Meitour L'original de ce texte nous a été remis par son mari, Patrice Beaumont le Meitour. |
"Adagio for a Schtroumpf" Laurent Quenon
Des B.D. s’amoncelaient en piles dès l’entrée du magasin. J’en pris une. Quelle surprise ! Car sur la couverture de l’album s’étalait mon portrait, oui, mon portrait : c’était bien moi, moi tout dessiné, moi et je n’en revenais pas. Le libraire partit d’un grand sourire et me félicita : « Là je dis bravo ! ». Mon regard interrogatif l’incita à poursuivre : « Ca c’est de la promo ! ». Je bredouillais quelques mots, sortais un peu de monnaie et rentrais dare-dare chez moi, l’esprit vide et la B.D. sous le bras. Je verrouillais la porte et posais l’ouvrage sur mes genoux. Tout y était : ma peau bleutée, mon nez gascon et mes grands yeux caucasiens. On avait même poussé le vice jusqu’à doter le personnage du bonnet blanc que j’ai toujours trouvé très look et qui, du coup, en devenait grotesque. L’auteur s’était également servi de mon nom de famille, Jean-René Schtroumpf, d’une digne famille de l’Yser. Un sentiment profond d’insécurité prit subitement racine en moi. Après tout, me dis-je, est-ce si grave que l’on se soit inspiré -peut-être par hasard d’ailleurs- de ma conformation physique pour créer un personnage de B.D. ? Peut-être pourrai-je tirer l’un ou l’autre avantage d’avoir mon visage ainsi exposé… Et puis, j’aurais pu tomber pire : un Schtroumpf c’est plutôt sympa. On le laisse vivre. Qui s’en prendrait à lui ? Effectivement, les choses se passèrent assez bien. Les enfants m’entouraient pour me fêter, réclamant embrassades et autographes. L’enthousiasme des bouts de chou m’amusa quelques semaines jusqu’à devenir un carnaval horripilant. Je me mis à éviter les sorties d’école comme la peste, frôlant la crise de nerf au moindre cri d’admiration. Pour tenter de me défaire de ce trop plein d’affection assez inattendu, j’employais un subterfuge. Je me badigeonnais le corps de peinture noire pour faire disparaître les reflets bleutés de mon épiderme. Sur le coup, ça a plutôt bien marché. Je fus même accueilli à bras ouverts par la communauté camerounaise qui me prit pour l’un des siens. Nous partageâmes quelques repas forts festifs où j’oubliais pour un instant ma triste condition. Mais il fallut que sorte l’album « Les Schtroumpfs Noirs » de sorte que mon déguisement devint illico caduque. Pire : je ne pouvais pas sortir sans que les gosses ne cherchent à me mordre les fesses en hululant des « gnap! » à tire larigot. Il advint même que des mères indignées, croyant assister à un nouveau genre de perversion, firent appel à la maréchaussée. C’est quand ils se mirent à produire de façon industrielle des tasses, assiettes et bols à mon effigie que la coupe se mit à déborder du vase. Cela vous plairait-il qu’un marmot mal élevé et tartiné de confiture se régale d’un chocolat chaud dans ce qui représente votre tête ? Ou pire : y repique des saloperies de radis dans un fond de terreau ? Ou de la salade à couper ? Une jacinthe ? Et bien moi ça ne me plut pas. Pas du tout. Je suis réaliste. Nous vivons une époque troublée. Ca ne me dit rien qui vaille d’imaginer qu’apparaisse un jour à mes dépens cette manchette dans les journaux : « Un déviant mental a décapsulé le crâne de monsieur Jean-René Schtroumpf pour y repiquer ses poireaux ! » ; « Un cri à vous glacer le sang ! témoigne la concierge de l’immeuble » ; « La victime, transformée en légume à vie ». Affolé, je pris rendez-vous avec l’éditeur de la B.D. pour tenter de lui expliquer mes déboires. Mes ennuis s’aggravant au fur et à mesure que grandissait la popularité des lutins bleus, j’en fus réduit à porter l’affaire devant le tribunal de Nanterre. A mon grand étonnement, l’avocat général prétendit que je recherchais la publicité à travers ma ressemblance. « Il s’agit ici d’un problème d’ego ! », assena-t-il, clôturant son réquisitoire en me conseillant vivement une psychanalyse. L’argument fit mouche et je perdis le procès. D’autant qu’aucun des jurés ne voulait être tenu pour responsable par ses propres enfants de la disparition des Schtroumpfs ! Je devenais par-là même la copie, n’ayant plus qu’à subir mon sort sans broncher. Cette dépossession de moi me rendit fort amer. Ne supportant plus l’idée même de la vie, je tentais de me noyer. Au dernier moment, retenu par l’insupportable vision de milliers d’enfants atterrés par la noyade d’un gentil Schtroumpf, je réintégrais ma voiture. Un Schtroumpf noyé. Qui l’aurait compris de toute façon ? On ne peut pas être plus bleu que bleu. Alors que je ne croyais plus en rien, tout changea grâce au caprice d’un gosse de riche. Son père, un industriel Mosan, retrouva ma trace, entre les bas quartiers de Lille et le pont Mireille. Sans préambule il me proposa un véritable pactole annuel pour servir de cadeau d’anniversaire à son fils. Je n’y vis aucun inconvénient. D’autant que le gosse me paraissait gentil. Richard : ça ne s’invente pas. Depuis lors je joue au vrai-vrai Schtroumpf qui se prête à tous les jeux. Je borde Richard, j’accueille avec enthousiasme ses petits amis, je lui fais engloutir son quatre heure et je fabrique des fusées en carton pâte… Au moins suis-je protégé du monde extérieur. Mais si vous saviez comme des yeux d’enfant peuvent devenir cruels ! Quand Richard pique une colère, il envoie valdinguer tout ce qui est à portée de main. Pour le moment, je n’ai rien à craindre : mes nonante kilos me mettent à l’abri. Et puis, un jouet tout neuf, ça s’économise. Mais ça changera. Il va vieillir le Richard. Il en est des goûts des enfants comme du reste : ça change du jour au lendemain sans raison apparente. Et les changements d’idée sont sanctionnés de façon fort violente dans le coin. Plume, l’Oie Magique, a terminé sa vie dans le feu ouvert. Que va t’il advenir de moi ? D’ici là, chaque fois qu’il prend à Richard l’envie de dessiner, je fais tout pour l’en empêcher : hors de question qu’une telle mésaventure se reproduise ! Quelle schtroumpf !* * Quelle guigne ! |
"L'homme invisible" Jacques Bardet Des B.D. s’amoncelaient en piles dès l’entrée du magasin. J’en pris une… quelle surprise ! Il s’agissait de cette série que mon frère et moi lisions assidûment durant notre enfance. Nous y consacrions des après-midi entière, assis à même le sol. Rien de surprenant à ce que ce brocanteur dispose de cette vieille série, mais une sourde intuition m’amenait à penser qu’il s’agissait de NOS bandes dessinées ! La tâche sombre en haut de la couverture, par exemple… Oublié sur un radiateur électrique, j’avais endommagé ce même numéro à cet endroit précis ! Je feuilletais les pages, oubliant le brouhaha des chuchotements qui tissaient un fond sonore arachnéen. C’est le cœur battant que j’arrivais aux dernières pages. Là, d’une écriture toute en rondeur, notre mère inscrivait au stylo-bille bleu l’année et le « prétexte » du cadeau : anniversaire, Noël, « petite souris »… Mais avant même d’en arriver à l’emplacement du sceau familial, je savais. Je savais que cette B.D. était celle qui m’avait tant fait rêver jadis. Je savais également que cette pile posée négligemment près de la porte, c’était TOUTE notre collection. Dans cette brocante, notre passé était en vente. Dans un autre contexte, tomber par hasard sur un élément surgit du passé eut été émouvant. En l’occurrence, une douloureuse colère commençait de gronder en moi. Depuis que mon frère s’était marié, une distance s’était doucement installée entre nous. Par la force des choses, dirons-nous. À la mort de notre dernier parent, nous fûmes amené à nous rapprocher Même si le contexte n’était pas heureux, je pris plaisir à le revoir ainsi que son épouse après ces années d’éloignement. Nous nous sommes acquittés sereinement des aigres obligations que convoquent ce type d’évènements : notaire, succession, partage du mobilier et des objets de la maison familiale. Je me souviens très bien de notre accord concernant notre collection de bandes dessinées à laquelle nous tenions tout autant l’un que l’autre. Il avait déjà deux fils et conserverait donc la série jusqu’à nouvel ordre. Nous sommes restés en contact téléphonique quelques mois durant. Brusquement rapprochés par la douleur, et la troublante sensation qu’une page de notre histoire se tournait. Que le temps nous avait joué un mauvais tour à tous les deux, alors qu’il nous semblait avoir appris à le maîtriser un peu… Puis ces mêmes « choses de la vie » nous éloignèrent à nouveau. Nous reprîmes nos places respectives, chacun du côté de son quotidien. Effectivement, je l’ai appelé. Nous avons convenu d’un premier rendez-vous auquel il s’est dérobé sous un prétexte futile. À ma seconde tentative, je lui proposais de passer à la maison. Après l’avoir attendu plus d’une heure, j’appelais chez lui pour lui dire ma façon de penser. Il devait être 22 heures, et il n’était pas rentré du bureau. En fait, il n’est jamais revenu de son bureau : on ne l’a plus JAMAIS revu. Il s’est littéralement volatilisé dans la nature. Avec son épouse, nous avons rapidement signalé sa disparition aux services de police. Puis engagé un détective privé. Puis un autre, et un autre encore. D’après l’un d’entre eux, il était très certainement parti à l’étranger. C’était le meilleur des scénarios à envisager. Tout cela s’est passé peu de temps avant que je ne rencontre Cécile. À l’heure qu’il est, notre petite fille va bientôt fêter son cinquième anniversaire. |
"Tous voisins" Laurence Barrère
Merci à Messieurs Morris, Goscinny, Uderzo, Van Hamme, Tardi, Franquin, Pratt, Leloup, Giraud, Walthery … et tous les autres ! |